vendredi 6 avril 2018

Montréal-Paris : Claire


- Claire?

Qu'est-ce que je pourrais demander de mieux? On a le soleil, mais on en est protégé par une ombrelle, on a la vue sur le port - sans les odeurs - et les copines sont là. J'ai joui il y a quelques heures et mes cheveux sont fabuleux.

- Claire?

Je me penche au-dessus de la balustrade de verre et regarde ces fourmis qui courent pour aller affronter le trafic, pour aller rejoindre leur petite vie tranquille, leurs petits soucis familiaux, leurs conjoints qu'ils ne baisent plus, leurs envies de prospérité qui ne viendra jamais...



- Claire!
- Oui, quoi?
- T'étais où?
- Pas très loin, juste en train de juger les pauvres travailleurs.
- Y'a plus important, on vient de décréter que Maude a besoin de s'envoyer en l'air.
- Vraiment?

Maude repousse une mèche derrière son oreille pour découvrir ses boucles d'oreilles de diamant. C'est un cadeau de son ancien fiancé, le troisième. Je ne trouve pas particulièrement qu'elle a besoin de s'envoyer en l'air, mais si Julie le dit, ça doit être vrai.

- Et?
- Et j'ai pensé à ton mec, tu sais le gars que tu baisais à l'occasion?
- Antoine?
- Oui, c'est ça, Antoine. Il est plutôt beau garçon et tu nous as raconté qu'il sait faire ce qu'il y a à faire. On s'est dit que ce serait parfait!
- Je suis pas sûre...
- Allez, de toute façon tu ne le vois plus, non?

J'ai encore son sperme qui mouille ma petite culotte. Officiellement, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Officiellement, du moins ce que j'ai raconté aux filles, ce n'était qu'une histoire de cul. J'étais trop saoule, la musique était bonne, le champagne coulait à flots, j'ai flanché et j'ai peut-être récidivé quelques fois, mais seulement parce que je m'ennuyais.

Ça, c'est la version officielle. La vérité c'est que j'essaye de l'éviter, je ne l'appelle pas, je ne suis pas amie avec lui sur les réseaux sociaux, je ne le texte pas... en général. Mais quand je flanche, quand j'ai trop bu et que je le texte, il est toujours là, toujours disponible et il me fait terriblement jouir. 

- Non, je ne le vois plus, mais je crois pas que ça irait.
- Pourquoi?
- Parce que...

Je m'enfonce. Je ne sais pas quoi dire. Je n’ai pas de raison valable. Je n’ai pas de raison de ne pas fournir une bonne baise à une bonne amie. Surtout si elle est dans le besoin. Et puis, c'est juste un gars.

- Ben non, y'a pas de raison. Tiens, passe-moi ton cellulaire, je t'inscris son numéro.

Maude glousse et me passe son vieux téléphone. Elle voit bien que je m'arrête à le regarder.

- C'est pas le mien, c'est un prêt, le mien est en réparation, je l'ai encore échappé.

J'inscris le numéro d'Antoine, après avoir feint de devoir regarder dans mon répertoire. En réalité, je connais son numéro par coeur. Je l'ai déjà appelé de la cabine téléphonique en bas de chez lui juste pour que mon numéro n'apparaisse pas sur son afficheur. C'est une fille qui a répondu. Maude me tend la main comme si elle avait peur que je ne lui remette pas son truc.

- Excusez-moi les filles.

Je m'éclipse vers les toilettes. Je n’ai pas envie. J'ai juste besoin d'essuyer ma culotte et regarder si mes cheveux sont toujours en place. Je traverse les tables de la terrasse en replaçant mes lunettes de soleil sur mon nez, juste parce qu'elles me donnent un style d'enfer.

Je referme la porte derrière moi et remonte ma robe. J'aurais cru qu'il y en aurait plus, mais en fiat c'est moi qui mouille encore. Il m'a prise debout, dans l'entrée, avant même que j'aie eu le temps de lui offrir un verre. L'autre culotte, celle que je portais, a craqué. Je n’ai pas encore osé regarder s'il l'a déchiré. Ça me ferait mal au coeur. Je viens juste de l'acheter. Ce n’est pas pour l'argent, mais quand même, 60$ aux poubelles c'est triste. J'y pense et je suis excitée en même temps que je suis désolée. C'est drôle comme sentiment. 

J'essuie comme je peux avec du papier de toilette, en profite pour une petite pisse par principe et je vais me regarder dans le miroir en me lavant les mains. Tout est parfait : ma robe, mes cheveux, mon maquillage. Tout est parfait dans ma vie.

Je reviens aux filles qui sont derrière Maude et regarde son cellulaire en rigolant.

Elle l'a texté. Il lui a envoyé une photo de lui torse nu. Il est en train de travailler dehors chez ses parents et il est torse nu. Dieu qu'il est beau. Paumé, ivrogne, joueur compulsif, dragueur, mais tellement beau. Les filles le trouve craquant et tellement gentil d'aider ses parents. Sans doute qu'il fait ça pour leur emprunter de l'argent, mais ça elles n'ont pas à le savoir. 

- T'en fais une tête?!

Je réalise que je grimace, je réajuste. 

- Ça me rappelle de mauvais souvenirs, voilà tout. 
- Mauvais?
- J'ai flanché. Tu sais, un mauvais garçon, c'est bon où ça passe, mais c'est pas réaliste.
- C'est pas mal tout ce qu'on leur demande, non?
- Ouais...

En réalité, j'aurais aimé qu'il ait un peu d'argent, un boulot, quelque chose pour pouvoir m'accrocher. 

- Claire, ça va?

J'ai un visage anxieux, je le sais et j'arrive plus à m'en défaire. 

- Je crois que les crevettes n'ont pas passé, je vais rentrer. Désolé les filles.

On se fait des bises sans se toucher et je paye ma facture du groupe avec la carte de papa, en ajoutant une bouteille pour que les filles ne me trouvent pas cheap. Dès que je mets le pied sur le trottoir, j'appelle ma mère.

- Claire.
- Maman.
- Qu'est-ce qu'il y a ma chérie?
- Je me demandais : qu'est-ce que tu fais quand t'es triste?
- Tu es triste? Mais pourquoi ma chérie? Tu veux passer à la maison profiter de la piscine?

L'idée d'aller plonger dans la piscine me plait, mais je n'ai pas envie de subir ses interrogations.

- Non, merci, je rentre chez moi. Je suis épuisée. J'ai passé la journée avec les filles et ça m'a lessivé.
- Je comprends ma chérie. Quand je suis fatiguée, quand je suis triste, je fais une bonne action. Ça permet toujours de remettre les choses en perspective.
- Comme quoi?
- Généralement, je fais un chèque à un organisme, mais des fois je vais acheter des cannages et les mets dans un panier pour les pauvres.
- C'est une bonne idée... mais je ne suis pas certaine que c'est ce dont j'ai besoin.
- Tu pourrais faire un voyage?
- Seule?
- Ben non, invite une copine!
- On est loin de la bonne action par contre...
- Invite Brigitte!

Inviter Brigitte, pas folle comme idée. Brigitte, ma seule amie du collège qui y est entrée parce que ses parents se sont saignés à blanc. Ma seule amie qui travaille d'arrache-pied et qui a un enfant.

- Merci maman!

Je n'attends même pas qu'elle me réponde pour raccrocher. Je suis tout excitée! Je vais lui offrir un voyage... pour ses 35 ans! Voilà! Son anniversaire est dans deux mois, mais je vais dire que j'ai une occasion de partir maintenant. Et je vais même lui laisser choisir l'endroit.

Me voilà déjà devant mon immeuble. J'hésite à rentrer. Je suis trop excitée. Ma voiture est là et me tente... 

J'y vais immédiatement.

Je vais faire une bonne action : claquer du blé pour une copine qui n'en a pas.

C'est beau l'altruisme. Maman avait raison.

samedi 31 mars 2018

Montréal - Paris


Les mots me reviennent. J'ai envie d'écrire une histoire. Malheureusement, avec le temps l'habitude s'est transformée en souvenir. Écrire des histoires ne fait plus partie de mon quotidien. Je n'écris plus, je rédige.



Deux voix: une profession, un art

Il y a quelques semaines, je me suis mis à entendre des phrases. Je marchais sur la rue et une voix s'est mise à narrer ce qui se passait autour de moi. Oh, pas grand-chose, juste quelques jolies phrases. Cette petite voix, il y avait longtemps que je ne l'avais pas entendue, une voix féminine.

C'est arrivé ce jour-là et c'est arrivé de nouveau. Je me suis surpris à l'entendre de plus en plus souvent, à ne plus lire ou écouter de la musique seulement pour pouvoir l'entendre plus aisément.
Pourtant, je passe ma vie à rédiger : des mémos, des formations, des instructions, des requis... je rédige des choses qui ont un but, mais n'ont de l'écriture que le médium.

Le jour, je rédige, le soir et la fin de semaine j'imagine écrire. Deux voix, deux buts, une profession et un art. J'ai réalisé que j'ai deux voix intérieures : une voix féminine qui écrit, une voix masculine qui rédige.

Anatomie d'une histoire en construction

La voix féminine m'a soufflé à l'oreille il y a deux semaines qu'il serait amusant d'écrire un huis clos. L'inspiration venait de ce petit périple à Québec il y a trois semaines, plus particulièrement du transport en voiture, de ce voyagement où les silences sont peuplés de vibrations, de contemplations anodines.

Ma première idée a été d'écrire un voyage entre Montréal et Québec, puis je me suis souvenu qu'il y a déjà un film sur le sujet. Et puis, une voiture, ça s'arrête. Et le voyage est trop court. J'avais une idée de ces quatre adultes qui partent pour une raison X à quatre.

Alors l'idée m'est venue d'un aller simple vers Paris. Parce que Paris me manque. Parce que je déteste l'avion. Parce que c'est le huis clos par excellence. Il ne me manquait plus que des personnages.
Quatre adultes, c'est trop pair. Je voulais avoir un débalancement dans les conversations, un élément étranger, quelque chose pour introduire un malaise, une contrainte. J'ai ajouté un enfant.

Les personnages se sont imposés : le couple parent, l'ami un peu bohème, la gosse de riche et l'enfant.

Une narration vivante

 Je ne suis pas un bon narrateur omniscient, j'aime écrire à la première personne. Une fois ceci statué, il me restait à déterminer : qui pouvait narrer cette histoire? Je me suis tourné vers l'enfant. Durant les derniers jours, j'ai imaginé cet enfant qui voit le monde comme on le lui raconte, comme son expérience peut lui faire voir le monde. La naïveté de l'enfance me permet d'introduire une subtilité permettant au lecteur de se faire sa propre idée sur l'histoire.

Son nom : Ian.

Et à mesure que la voix d'Ian s'introduisait dans mon imaginaire, je constatais la limite de cette approche. Il est beaucoup trop facile de se perdre dans la limite de vocabulaire, dans la limite de perception et puis, un enfant ça dort. Du moins, Ian dort en avion.

Alors, j'ai réalisé que je me ferais beaucoup plus de plaisir à écrire non pas avec un narrateur, mais cinq. D'abord Ian, puis Antoine (le bohème), Brigitte (la mère), Claire (la gosse de riche), Patrick (le père) et de retour à Ian.

Un synopsis

Ian arrive à l'aéroport avec ses parents. Il n'a encore jamais voyagé. Claire est déjà arrivée. Antoine est en retard.

Ian raconte : son père qui a les yeux brillants quand il regarde Claire, sa mère qui se renfrogne quand elle croise ces regards, Antoine qui fait rire sa mère, Claire qui est une princesse comme dans les films.

Et les questions qui n'ont pas encore de réponse... mais qui guident l'histoire.

Est-ce que Patrick est amoureux de Claire ou est-ce seulement qu'il fantasme sur elle? Sont-ils amants? Brigitte le voit-elle ou voit-elle autre chose? Patrick et Brigitte sont-ils heureux? Qui est Antoine et pourquoi est-il si nerveux? Claire, seule en première classe, fait ce voyage avec ses amis, mais pour quelle raison, elle qui connait et n'aime pas Paris? Qu'elle est l'histoire entre Patrick et Antoine? Quelle est cette vieille histoire entre Antoine et Brigitte? Pourquoi Claire semble-t-elle parfois dédaigneuse en regardant Antoine et Patrick? Qu'est-ce qu'Antoine cache dans son veston? Pourquoi Patrick va-t-il voir Claire lorsque Brigitte s'assoupit? Et lorsqu'elle se réveille, que lui dit Antoine à l'oreille? Pourquoi Antoine était-il en retard? Qu'arrive-t-il rendu à Paris?

Et la suite...

Peut-être que cette histoire verra le jour, peut-être ira-t-elle rejoindre les centaines de ses semblables sur un disque dur se dégradant tranquillement dans un tiroir, attendant l'obsolescence technologique qui transformera mes écrits en souvenirs échus.

Ce qui est important, ce n'est pas le résultat, c'est le retour de cette petite voix qui me dit d'écrire.

J'écris, donc je suis.

mercredi 28 mars 2018

Fille, t’es douée



Voilà un bout que je ne me suis pas adressé à toi fille, parce que j’étais beaucoup trop occupé à te faire de la place dans ma vie. Aujourd’hui, on en est rendu à compter les jours avant ton emménagement et je me rends compte que ça fait un bout que t’es déjà là.

Les petits riens

Au début, c’est l’envie (partagée) d’être avec toi tout le temps qui a fait qu’on a à l’occasion déménagé tes chats. Je faisais de belles réactions allergiques, mais c’était pas grave parce qu’en contrepartie on dormait plus souvent ensemble.

Puis tu t’es achetée des shampoings et du savon parce que moi, tsé, j’suis un gars et un gars, ça se lave avec ce qu’il a sous la main.

Je t’ai fait de la place dans un tiroir parce que j’avais pitié de la grosseur du sac que tu trainais chaque fois que tu venais chez moi. Tu as rempli le tiroir, la grosseur de ton sac n’a pas diminué pour autant.

Mon tiroir à légumes s’est rempli, tout comme la tablette du haut du frigo avec tes confitures et autres petits pots que je n’ouvre jamais. Je t’ai fait un coin dans la penderie pour que tu puisses y mettre tes céréales, ton beurre d’arachides, tes graines de toutes sortes, ton vinaigre de cidre, etc…

J’ai chauffé tout l’hiver pour que tu n’aies pas froid. J’ai acheté une jetée pour que tu sois bien quand tu regardes la télévision. J’ai acheté des napperons pour que tu puisses être bien lorsqu’on est à table.

Évidemment, bien avant tout ça je t’ai donné une clé et j’ai acheté une brosse à dents (que tu n’as pas utilisée, parce que tu en as acheté une qui te plaisait davantage).

Les autres choses

Tu m’as fait diminuer la quantité de bière que je bois quand je suis avec toi, je te laisse cuisiner des trucs végétariens, j’ai nettoyé le piano et l’ai monté du sous-sol, j’ai mis de l’ordre dans ma paperasse (j’ai pas fini, mais bon, ça achève), la cuisine est toujours propre, j’entretiens l’appartement, je fais le lit, je t’ai fait de la place dans le garde-robe de la chambre, ton violon est chez moi et il y a déjà un bout que tes chats ont emménagé pour de bon (je ne fais plus de réactions allergiques, c’est déjà ça!), le congélateur du sous-sol est plein à craquer de petits plats, tu as reçu tes amis et tes copines à la maison sans que je n’y sois, tu as ton propre verre à bière, tu t’es installé un petit coin pour lire dans le salon, on a maintenant des tables de chevet, y’a une nouvelle tablette dans la salle de bain et y’a même une plante sur la table de cuisine!

Et je ne me suis rendu compte de rien. J’ai consenti à tout. J’ai même proposé certaines de ces choses. Je t’ai fait des surprises pour te faire plaisir.

Et maintenant…

Et là ben on va réaménager l’appartement, pour que tu t’y sentes bien. On va poser une porte à une pièce pour que tu puisses y brûler de l’encens. Tu as décidé qu’on allait commencer par peinturer le salon (qui devient une salle à manger/salle de musique/salle de lecture), puis ce sera le nouveau salon (consacré au cinéma), puis j’imagine la chambre… sans parler du réaménagement du sous-sol, l’arrivée de tes meubles…

Et bientôt tu seras chez toi.

Mais tout ça s’est fait en douce, sans que je m’en aperçoive. C’était peut-être mon idée, j’en étais convaincu encore hier, mais je crois qu’il y a aussi de ton talent.

Parce que fille, t’es douée pour me rendre heureux.

Du coup, je ça me donne l’envie de te le rendre.