mardi 31 janvier 2017

La vie en couleurs (les miennes)



Si on me connaît depuis plus de 10 minutes (genre on m'a vu essayer de m'habiller avec des couleurs), on sait que je suis daltonien. Ça ne m'a jamais dérangé (bon, je n'ai pas pu être pilote d'avion, chirurgien ou coloriste, mais ça ne m'a jamais vraiment tenté non plus), mais ça dérange les autres. 

Aujourd'hui, j'ai été passer des tests en laboratoire afin de savoir si on pouvait faire quelque chose pour mon daltonisme. En fait, j'ai participé à une étude qui testait ce produit-là : 



Oui! Des lunettes magiques qui permettent aux daltoniens de voir les couleurs (en théorie).

Quand j'ai vu cette vidéo pour la première fois il y a quelques années, j'y ai cru dur comme fer. J'ai été sur le site de la compagnie et fait un test pour savoir si ces lunettes pouvaient m'aider, si effectivement je pourrais voir les couleurs comme les autres.

Ben, leur foutu test m'a dit que j'étais irrécupérable. Ce soir-là, j'ai pleuré (et je me suis sans doute ouvert une bière).

Je n'avais jamais été triste d'être différent, mais avoir entrevu la normalité pour qu'elle m'échappe aussitôt m'avait affecté, sans trop savoir pourquoi. Au moins, je venais d'épargner quelques centaines de dollars.

Voilà quelques semaines, j'ai vu passer une étude qui allait tester ces lunettes. J'ai décidé que j'allais en avoir le coeur net. Aujourd'hui, c'était le grand moment.

Je vais vous épargner les détails, mais en gros le test génère des pastilles comme celle-ci :

12 ou 18 ou 13, pas certain...


...et demande d'identifier son contenu. Meilleurs sont les résultats, moins les images sont contrastées et vice-versa.

Le test se faisait avec mes lunettes normales, des lunettes de soleil du Dollorama et les fameuses lunettes à 450$ (US). Je n'allais pas savoir durant le test si j'avais des lunettes magiques sur le nez ou une cochonnerie en plastique fabriquée en Chine.

Dès la première série (avec des verres fumés - mes lesquels!) j'ai vu une grande différence avec ma vision normale. UNE GRANDE. Je voyais des teintes, des couleurs, des trucs assez fous.

Au deuxième test, celui avec mes lunettes de tous les jours, je ne voyais qu'en gris assez rapidement (tellement que le test a été arrêté, incapable de déceler mon niveau de détection des rouges).

Troisième test, encore des lunettes mystères. Même résultat qu'avec mes lunettes normales.

Le résultat? Ce sont les lunettes du Dollorama  qui ont un effet magique sur moi! Avec elle, j'avais même une meilleure détection des bleus que celui qui me faisait passer le test. Les rouges et les verts étaient deux fois mieux qu'avec mes lunettes normales... ou les lunettes EnChroma à 450$ (US!).

Bref, ne me cherchez plus, je suis au Dollorama.

lundi 30 janvier 2017

Y'a d'la haine


Fear is the path to the dark side.
Fear leads to anger.
Anger leads to hate.
Hate leads to suffering.
- Yoda*


Ça peut paraître léger comme citation, mais elle résume malgré tout le mal qui aujourd'hui nous accable.

On craint ce qu'on ne comprend pas. C'est dans la nature humaine. Face à la crainte, il n'y a que deux réactions possibles : la curiosité ou la colère.

L'homme curieux cherche à comprendre, se renseigne et finit par apprivoiser la peur. Il la transforme en connaissance.

Celui qui ne se donne pas la peine d'aller au-delà de sa nature vient à être en colère parce que la différence ne change pas, ne rentre pas dans sa norme, reste incompréhensible à ses yeux.

Une fois en colère, l'homme perd sa capacité à être rationnel. Il fulmine et cherche à valider sa position. S'il trouve suffisamment d'esprits craintifs comme lui, il se peut qu'il passe son chemin en haussant les épaules. La différence ne sera qu'un mauvais moment à passer. Une anecdote parmi tout ce qu'il ne comprend pas. Il y sera indifférent. Il sera conforté dans sa position, dans sa normalité, sa morale, ses croyances et les voix dans sa tête - sans jamais devenir muettes - se feront plus sourdes.
S'il ne trouve personne, ou s'il trouve des gens qui ont encore plus peur que lui, la crainte deviendra de la haine.

On ne peut vivre longtemps avec de la haine dans le cœur. Ça sape trop d'énergie. Alors on se dit qu'il faut faire disparaître l'objet de tant de mauvais sentiments.

C'est alors que la haine mène à la souffrance. La souffrance de l'autre, bien entendu.

Heureusement, le monde est rempli de curieux et d'indifférents.

Mais pas toujours.



* La peur mène au côté obscur. La peur mène à la colère. La colère à la haine. La haine à la souffrance.(Traduction libre)

dimanche 29 janvier 2017

La vie après l'amor

Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour
La Mort qui nous attend et l’amour qu’on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
Ne chantez pas la mort, Ferré

On m'a posé une main sur l'épaule et m’a dit que c’était fini. Je les ai crus sur parole. La machine, d’une tonalité soutenue, tentait de me dire la même chose depuis deux bonnes minutes. J’aurais pu rester, abaisser ses paupières, y poser mes lèvres, pleurer et mouiller son visage, mais je n’en avais pas la force. J’avais autre chose à faire.

Je n’ai pas voulu rester lorsque Charlotte s’est éteinte. Je me suis aussitôt levé et me suis dirigé vers les ascenseurs. Un médecin a tenté de me retenir, m’a attrapé par le bras, sans succès. Je ne voulais rien entendre. Quelqu’un allait bien pouvoir prendre le relais. Quelqu'un allait devoir s'occuper des funérailles, de ses dernières volontés, mais ça ne pouvait être moi.

Je suis sorti de l’hôpital et me suis allumé une cigarette. J'ai humé l’air du printemps, senti la chaleur du soleil sur mon visage, regardé un bourgeon tentant une sortie précipitée. Puis, j’ai traversé la rue pour me rendre à ma voiture, en ai ouvert le coffre et, à l’aide d’un .45 acheté la veille, me suis fait éclater la cervelle sans attendre. Ça peut vous sembler étrange, mais il y avait urgence.

Je n’ai jamais cru au Paradis ou à l’Enfer: ça ne m’a jamais semblé logique. Par contre, j’ai toujours cru qu’il pouvait y avoir quelque chose après la mort. Un quelque chose que je ne pouvais cerner sans y goûter moi-même. Risqué comme idée, bien sûr, mais tout à fait logique.

Cette logique est basée sur le fait que notre corps est parcouru par des microdécharges électriques à tout moment et que notre cerveau, siège de la personnalité, est en fait une grille de distribution électrique. Et puisqu’en physique rien ne se perd et rien ne se crée, j’en suis venu à la conclusion en combinant ces deux éléments qu’il devait logiquement y avoir quelque chose après la mort. Dans le pire des cas, une redistribution d’énergie à l’échelle cosmique, dans le meilleur : quelque chose d’autre.

Mais voilà, j’étais tout faux.

Une fraction de seconde après m’être fait sauter la cervelle, je me suis retrouvé dans cette pièce blanche sans meubles. Il n’y avait pas de porte, qu’une fenêtre, et par celle-ci je pouvais voir le plus merveilleux des spectacles : Charlotte. 

Elle dansait, vêtue d’une robe légère, souriait, chantait, riait. Tantôt elle était entourée d’enfants, tantôt d’amis disparus ou de ses parents. Un moment elle dansait, cueillait des fleurs, le moment suivant elle festoyait, buvait, montait à cheval. La vue que m’offrait cette fenêtre tenait davantage du film de famille que d’une réalité logique quelconque. Il ne semblait y avoir aucun lien entre les scènes qui défilaient devant moi autre que Charlotte. Tout n’était qu’elle.

Il m’a fallu un moment avant de détourner les yeux de ce spectacle et ce ne fut que pour m’essuyer les yeux. Je pleurais. Ainsi, il y avait des pleurs après la mort. J’étais si heureux de la retrouver comme je l’avais aimée : vivante, joyeuse, rayonnante. Et puis, j'avais raison : il y avait quelque chose après la mort et c’était exactement ce que j’avais imaginé, souhaité. Je la retrouvais.

Après un moment, je ne sais pas pourquoi j’ai attendu, j’ai voulu ouvrir la fenêtre pour la retrouver. Impossible. J'ai voulu casser la vitre, quitte à me couper, mais je n'ai pu qu’entendre le choc sourd de mon coude contre celle-ci. Je n’avais pas mal. J’essayai avec mon poing, ma tête, mes pieds, mais rien n’y faisait.

J'étais triste, bien sûr, mais qu’importe la liberté: je pouvais la voir être heureuse et je cru être en mesure d’accepter de m’y limiter. J’avais tort.

Le temps, cette chose que l’on tient pour acquise lorsqu’on est vivant, devient une absurdité dans la mort. Il n’y a plus de planètes, plus de rotation, plus de nuits, plus de jours, plus d’heures au cadran d’une montre, rien que l’attente. Je ne ressentais plus le besoin de manger, de boire, de dormir, mais seulement celui de sortir. Je voulais la rejoindre.

Le film décousu qui m’avait été offert au premier regard devint de plus en plus clair, réaliste, cohérent. Je la vis redéfinir un quotidien dans une ville bien réelle. Je la voyais se lever, prendre des repas, rencontrer des gens que je ne connaissais pas, faire des activités qu’elle n’avait jamais faites. Son sourire était permanent, sans faille, accroché bien haut et n’en démordait pas.

Puis, elle rencontra quelqu’un. Je la connaissais par cœur, alors ce ne fut pas difficile de deviner qu’il lui plaisait, qu’elle répondait positivement à ses attentions. Bien vite, bienheureux ils passèrent juste sous ma fenêtre, se tenant par la main. J’eus beau crier, hurler, si leurs moindres soupirs se rendaient jusqu’à moi, les miens s'éteignaient à la fenêtre.

Leur intimité m’était épargnée, heureusement. J’avais droit aux baisers, aux accolades, aux mots doux, mais ils étaient vêtus. Peut-être était-ce encore pire de l’imaginer que de le voir. Lorsque je fermais les yeux, pour ne plus les regarder, c’était les seules images qui me venaient, dans leur plus grande cruauté.

Elle ne vieillissait pas, restait la même. Lui embellissait. Je dus les regarder avoir des enfants, les élever. Je dus regarder ceux-ci grandir, prodiguer mille joies à celle que j’avais aimé et qui semblait m’avoir complètement oublié. C’était tout à fait logique, encore une fois, aucun bonheur ne peut être parfait s’il subsiste des regrets, des remords, des souvenirs tendres qui ne sont plus, qui ne seront jamais. Pour qu’elle soit heureuse, je ne devais plus exister.

Je vis ce cirque recommencer. Avec un autre homme, puis un autre, puis d’autres enfants, puis d’autres joies sans cesse renouvelées. Je ne pus jamais que faire une chose : la regarder exister.

J’avais tout faux.

Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre : elle était morte de maladie, j’étais mort de suicide. J’en bavais de savoir qu’ils avaient raison, qu’il y avait bien un Paradis et un Enfer.

Qu’elle était au Paradis et qu’elle était à la fois, de ma fenêtre, mon Enfer.

*La version originale de cette nouvelle a été publiée le 25 septembre 2011. Elle a été partiellement revue et réécrite pour cette nouvelle publication.

vendredi 27 janvier 2017

Un trottoir la nuit et de la musique





La neige craque sous mes pas. Une fille passe, trop pressée, tout près de moi. Son passage lève quelques flocons qui tombent aussitôt. Ses pas craquent aussi sur la neige. Nos pas ensemble, c'est comme une symphonie improvisée pour percussions mixtes. C'est une belle musique. J'arrête, je ferme les yeux. Un instant, sans plus.

Je les rouvre et les lève : elle court pour attraper un bus. Les feux ne sont pas pour elle. Les voitures l'évitent. Voilà, elle y est. Elle l'a attrapé. Il part, avec elle. Quel salaud.

Quelques secondes et il s'est perdu sous le nuage de la neige qui tombe. Qui était-elle? Est-ce que j'aurais pu l'aimer? Est-elle amoureuse? Est-elle heureuse? Aime-t-elle marcher la nuit, sur le trottoir, sous la neige?

Brassens se met à me chanter dans mes oreilles « Les passantes ». J'écoute cette musique qui tombe à point. Je m'arrête, grille une clope. Un réverbère me regarde d'une lumière triste et jaune. Je le regarde à mon tour et lui crache à la gueule.

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main




Je reprends mon chemin. Je marche au hasard des rues, des feux de signalisation qui me disent «tourne ici, tourne là». Un rappel de modernité vibre dans ma poche. Je regarde cet écran qui illumine le soir. Juste au cas où on penserait à moi, mais non : une illusion. Je suis seul, ce soir, sous la neige.

Il neige, mais c'est pourtant Nougaro et « La pluie fait des claquettes » qui enchaîne.

À force de rasades,
De tournées des grands-ducs,
Je flotte en nos gambades,
La pluie perd tout son suc
« Quittons-nous dis-je, c’est l’heure
Et voici mon îlot
Salut pourquoi tu pleures ?
- Parce que je t’aime salaud. »




Je pleure, c'est le vent. J'aime me mentir. J'ai le coeur en miette. Je ne veux pas savoir pourquoi. Parce qu'il fait nuit et la nuit je mens.

J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho




Je déambule, je marche, je fabule. J'imagine des mondes différents. Des mondes imaginaires. Des mondes où je ne serais pas derrière un clavier. Des mondes où ce serait différent. Des mondes où la lumière ne serait pas blafarde. Il fait froid. J'ai froid. Je suis bien. Ici, je devrais tourner à droite.

Je continue. À ma gauche, il y a une fille. Quelque part à gauche. Je sais qu'elle se cache quelque part par là. Devant moi, il n'y a rien. Je continue vers rien.

Mes cuisses me font mal, j'enfile mes gants. Mes doigts reviennent à la vie, mais je les dénude de nouveau pour m'allumer une autre cigarette. Quelque part, sous un porche, sous un balcon enseveli sous la neige il y a un feu, une passion qui n'attend que le printemps.

Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude




Ma marche me mène où je devais aller. Je suis en manque de houblon, de saveur, d'ivresse. J'ai envie de boire. Pas de boire pour apprécier, juste pour boire. J'y suis, oui, là, à deux pas d'être ailleurs. À deux pas d'une image qui est de plus en plus floue, de plus en plus fugace sous les projecteurs que sont les arbres qui luisent sous la lumière sélénite.

Ce sera 17 et 26. Elle me dit ça comme s'il y avait un coût réel. Comme si je ne m'en foutais pas. Comme si l'amour du silence ne pouvait s'acheter en quatre canettes. Je lui souris et lui tend du plastique. Elle s'en fout et elle fait bien. Pour travailler un soir d'amour comme celui-ci, elle doit être à un lieu où je ne veux pas être dans ma vie. Du coup, je lui souris. Elle aura au moins un sourire ce soir.

L'ivresse est aseptisée, encapsulée dans un contenant stérile. Je la porte sous le bras en revenant chez moi, comme un porte un cercueil quand on a la mort de l'âme à subir et effleurer, porter sous la brise, porter sur la neige, faire glisser sur des glaces d'un hiver du cœur qui n'en finit pas de ne pas finir.

Je rentre chez moi et c'est le silence. La nuit s'est invitée.

«Pschitt» fait la bière qui aussitôt coule dans mon verre. Ses sœurs n'iront pas au froid. Elles n'auront pas le temps de se réchauffer. Venez, petites. Venez.

J'ai soif.
Je bois...
Aux femmes qui ne m'ont pas aimé,
Aux enfants que je n'ai pas eus
Mais à toi qui m'a bien voulu,
Mais à toi qui m'a bien voulu.