Les mots me reviennent. J'ai envie d'écrire une histoire.
Malheureusement, avec le temps l'habitude s'est transformée en souvenir. Écrire
des histoires ne fait plus partie de mon quotidien. Je n'écris plus, je rédige.
Deux voix: une
profession, un art
Il y a quelques semaines, je me suis mis à entendre des
phrases. Je marchais sur la rue et une voix s'est mise à narrer ce qui se
passait autour de moi. Oh, pas grand-chose, juste quelques jolies phrases. Cette
petite voix, il y avait longtemps que je ne l'avais pas entendue, une voix
féminine.
C'est arrivé ce jour-là et c'est arrivé de nouveau. Je me
suis surpris à l'entendre de plus en plus souvent, à ne plus lire ou écouter de
la musique seulement pour pouvoir l'entendre plus aisément.
Pourtant, je passe ma vie à rédiger : des mémos, des
formations, des instructions, des requis... je rédige des choses qui ont un but,
mais n'ont de l'écriture que le médium.
Le jour, je rédige, le soir et la fin de semaine j'imagine
écrire. Deux voix, deux buts, une profession et un art. J'ai réalisé que j'ai
deux voix intérieures : une voix féminine qui écrit, une voix masculine qui
rédige.
Anatomie d'une
histoire en construction
La voix féminine m'a soufflé à l'oreille il y a deux
semaines qu'il serait amusant d'écrire un huis clos. L'inspiration venait de ce
petit périple à Québec il y a trois semaines, plus particulièrement du
transport en voiture, de ce voyagement où les silences sont peuplés de
vibrations, de contemplations anodines.
Ma première idée a été d'écrire un voyage entre Montréal et
Québec, puis je me suis souvenu qu'il y a déjà un film sur le sujet. Et puis,
une voiture, ça s'arrête. Et le voyage est trop court. J'avais une idée de ces
quatre adultes qui partent pour une raison X à quatre.
Alors l'idée m'est venue d'un aller simple vers Paris. Parce
que Paris me manque. Parce que je déteste l'avion. Parce que c'est le huis clos
par excellence. Il ne me manquait plus que des personnages.
Quatre adultes, c'est trop pair. Je voulais avoir un
débalancement dans les conversations, un élément étranger, quelque chose pour
introduire un malaise, une contrainte. J'ai ajouté un enfant.
Les personnages se sont imposés : le couple parent, l'ami un
peu bohème, la gosse de riche et l'enfant.
Une narration vivante
Je ne suis pas un bon
narrateur omniscient, j'aime écrire à la première personne. Une fois ceci
statué, il me restait à déterminer : qui pouvait narrer cette histoire? Je me
suis tourné vers l'enfant. Durant les derniers jours, j'ai imaginé cet enfant
qui voit le monde comme on le lui raconte, comme son expérience peut lui faire
voir le monde. La naïveté de l'enfance me permet d'introduire une subtilité
permettant au lecteur de se faire sa propre idée sur l'histoire.
Son nom : Ian.
Et à mesure que la voix d'Ian s'introduisait dans mon
imaginaire, je constatais la limite de cette approche. Il est beaucoup trop
facile de se perdre dans la limite de vocabulaire, dans la limite de perception
et puis, un enfant ça dort. Du moins, Ian dort en avion.
Alors, j'ai réalisé que je me ferais beaucoup plus de
plaisir à écrire non pas avec un narrateur, mais cinq. D'abord Ian, puis
Antoine (le bohème), Brigitte (la mère), Claire (la gosse de riche), Patrick
(le père) et de retour à Ian.
Un synopsis
Ian arrive à l'aéroport avec ses parents. Il n'a encore
jamais voyagé. Claire est déjà arrivée. Antoine est en retard.
Ian raconte : son père qui a les yeux brillants quand il
regarde Claire, sa mère qui se renfrogne quand elle croise ces regards, Antoine
qui fait rire sa mère, Claire qui est une princesse comme dans les films.
Et les questions qui n'ont pas encore de réponse... mais qui
guident l'histoire.
Est-ce que Patrick est amoureux de Claire ou est-ce
seulement qu'il fantasme sur elle? Sont-ils amants? Brigitte le voit-elle ou
voit-elle autre chose? Patrick et Brigitte sont-ils heureux? Qui est Antoine et
pourquoi est-il si nerveux? Claire, seule en première classe, fait ce voyage
avec ses amis, mais pour quelle raison, elle qui connait et n'aime pas Paris?
Qu'elle est l'histoire entre Patrick et Antoine? Quelle est cette vieille
histoire entre Antoine et Brigitte? Pourquoi Claire semble-t-elle parfois
dédaigneuse en regardant Antoine et Patrick? Qu'est-ce qu'Antoine cache dans
son veston? Pourquoi Patrick va-t-il voir Claire lorsque Brigitte s'assoupit? Et
lorsqu'elle se réveille, que lui dit Antoine à l'oreille? Pourquoi Antoine
était-il en retard? Qu'arrive-t-il rendu à Paris?
Et la suite...
Peut-être que cette histoire verra le jour, peut-être ira-t-elle
rejoindre les centaines de ses semblables sur un disque dur se dégradant
tranquillement dans un tiroir, attendant l'obsolescence technologique qui transformera
mes écrits en souvenirs échus.
Ce qui est important, ce n'est pas le résultat, c'est le
retour de cette petite voix qui me dit d'écrire.
J'écris, donc je suis.