dimanche 9 juillet 2017

Fille, le bonheur ça rend contemplatif

Je sais, ça fait longtemps que je ne suis pas venu t'embêter avec mes histoires. Je sais, j'avais promis. Je sais, je sais, je sais. Bon. Je peux dire quelque chose pour ma défense? J'suis heureux.

Fille, si tu veux blogger, tiens-toi loin du bonheur. C'est sérieux. J'ai connu des dizaines de blogueurs et ils étaient tous à une drôle de place dans leur vie quand ils étaient intéressants. Ceux qui se sont rendu compte qu'ils n'étaient plus aussi pertinents une fois heureux ont juste arrêté d'écrire. Les autres... ben plus personne ne les lit.

Pourquoi? Ben, parce que le bonheur rend contemplatif. On regarde le vent passer, on écoute l'humidité dans l'air, on boit les nourritures de l'âme et on bouffe les lèvres qui nous abreuvent. Pis on écrit des phrases moches comme la précédente.

Du coup, mieux vaut se tenir loin d'un clavier.

Pour blogger, sur une base régulière j'entends, il faut être en introspection permanente. Il faut enchaîner les drôles d'histoires (ça peut arriver dans un couple heureux aussi, mais souvent ça cache quelque chose de malsain - je sais, je suis passé par là), les nuits de soupirs sans conséquence, les cuites sans lendemain, les séries télé et les romans imbuvables. Il faut se taper des films incompréhensibles pour être pertinent, aller où personne ne va, être dans ces moments où personne ne pourra dire «j'y étais». Il faut s'inventer une vie qui n'est pas celle de nos rêves, mais qui nous inspire à mort. Parce qu'on se demande à tout moment : « mais qu'est-ce que ça veut dire?».

Puis, un jour, on rencontre cette personne qui vient gâcher tout ça. Au début, on se dit que ce sera différent, qu'enfin on va pouvoir conjuguer le tout, mais tout joli rêve a une fin.

« Voici un test très simple pour savoir si vous êtes amoureux : si au bout de quatre ou cinq heures sans votre maîtresse, celle-ci se met à vous manquer, c'est que vous n'êtes pas amoureux - si vous l'étiez, dix minutes de séparation auraient suffi à rendre votre vie rigoureusement insupportable » - L'amour dure trois ans - Beigbeder.

Tout le malheur de l'amour tient en ces choses. Au début d'une relation, tu le sais, on n'habite pas ensemble, donc viennent immanquablement ces moments où on meurt de l'absence. Il y a bien le boulot pour nous occuper un peu, mais le reste du temps... tout perd son charme. Y compris écrire. Y compris laver le bain. Y compris classer ses livres par ordre chronologique.

Sauf si elle le demande, même à demi-mot, alors on retourne au clavier, on réécrit un billet juste pour voir si on a encore ça un peu dans le ventre. Puis pour elle, parce que.

Alors, fille, on fait un effort d'introspection et on se demande pourquoi on écrit plus.

Et ça donne un billet.

Fille, je t'interdis de rire.


mercredi 19 avril 2017

Chapitre 3 : Une rouquine nommée Stéphany


Quand la femme de Paul l’a laissé pour un autre, le bon vivant débonnaire s’est transformé en un être cruel, renfrogné, sédentaire, aigri et particulièrement insupportable. Manque de bol, Paul est notre patron. Du coup, pour André et moi, le moindre prétexte est bon pour travailler à l’extérieur des bureaux.

Il fait beau dehors? Sortons. Une manifestation passe sous nos fenêtres? Allons voir. Un nouveau restaurant offre un accès internet? Travaillons à distance. Un nuage en forme d’ourson est passé dans le ciel? C’est un signe qui ne ment pas : nous devons le suivre.

Mais ce matin André est sorti du bureau de Paul et soudainement n’avait plus besoin de prétexte.

- Tu me sors d’ici ou je le tue!

L’homicide n’est pas une raison, pas un prétexte, tout au plus un justificatif. C’était sa façon de me dire que sa rencontre ne s’était pas déroulée comme il l’aurait souhaité. Il faut le connaître, il n’est pas méchant. Ce n’est pas parce qu’on jamais retrouvé son chien qu’il faut croire les mauvaises langues qui racontent qu’il l’a fait disparaître parce qu’il avait osé uriner sur la moquette. Il a perdu son chien, simplement. Parait que ça arrive.

Je n’ai pas osé le contrarier, parce que. Pour paraphraser le p’tit prince je dirai : y’a des mystères qu’il ne faut pas faire chier. Bref, je n’avais pas besoin de connaître l’histoire, d’avoir une autre raison que celle qu’il venait de me donner pour faire la job buissonnière.

J’allais partir sans mon ordinateur, prêt à aller descendre quelques pintes de bière, mais il m’a arrêté dans mon envol.

- Tu crois que tu t’en vas où toi? Au Club Med? Allez, on va bosser ensemble et on va lui montrer qu’on n’est pas des cons.

Ce n’était pas le moment de lui dire que pour ma part je ne le pensais pas du tout. Mon opinion importait peu à ses yeux, alors je suis retourné à mon bureau pour prendre mon portable et j’ai accéléré ma démarche pour le rattraper. Il appelait déjà l’ascenseur.

J’ai profité de ce moment de répit pour lui demander, comme si ça avait une importance :

- On va où?

- J’sais pas. Y’a ce nouveau café.

- Où?

- Dans la côte. « Élémentaire ma chère rouquine » ça s’appelle ou un truc du genre.

- Tu parles d’un drôle de nom.

- Y’a une rouquine derrière le comptoir, c’est peut-être pour ça.

- Va pour la rouquine.

Allez savoir pourquoi, les gars ont presque tous une attirance mystique envers les rouquines. Il faut dire que les mythes sont légion. Il parait qu’elles : embrassent mieux, ont une odeur différente, luisent lors des nuits de pleines lunes, sont plus cochonnes que les autres, goûtent différentes, ont un caractère plus bouillant (essayez les brunes!), peuvent monter une mayonnaise sans œufs, arrivent à supporter le regard d’un chat dans la pénombre et lisent le braille (quand elles sont aveugles, évidemment).

Je ne fais pas exception. Je crois quelques trucs dans le lot et pour le reste, je ne demande qu’à tester empiriquement.

À peine arrivés et je tombais sous le charme. Pas de la fille, mais du café. Un local fait sur le long, un immense comptoir de bois noir qui occupe près de la moitié du plancher, sur lequel trône une magnifique machine à espresso (vous savez celle qui est chromée avec un aigle sur le dessus?). Derrière le comptoir, sur le mur, des pots de verre avec différents grains de café, différents thés, une multitude de bouteilles d’alcool et de sirop fruités multicolores. Les murs sont de briques, le plancher de bois n’a pas été verni depuis des lustres et porte la marque des cent pas d’amoureux éconduits qui y ont attendu un rendez-vous qui n’est jamais venu.

Derrière ce comptoir, il y a aussi cette jolie rousse. Vêtue simplement d’un jeans qui ne laisse pas de place à l’imagination quant à ses jambes ou ses fesses, d’une camisole noire couverte partiellement par une chemise entrouverte au niveau de la poitrine, nouée à la taille. Elle a les cheveux longs bouclés, d’un rouge flamboyant, irréels. Son visage est tout en angles, coupé par des coups de ciseau trop pressés dans un marbre au teint pâle typique des rouquines. Bref, elle est jolie.

On se prend une table, André se rend au comptoir pour commander et nous revient avec deux cafés. Il est bon, très. Je croise le regard de la rouquine derrière le comptoir et lui souris. Elle lève un verre dans ma direction et me sourit aussi. Cet échange n’échappe pas à André qui me donne un coup de coude.

- Vas-y!

- Où?

- Va la voir! Elle te regarde comme tu la regardes.

- Et je la regarde comment?

- Avec concupiscence.

- Et tu crois qu’elle me fait le même regard?

- Tout à fait!

- Ça fait combien de temps que tu n’as pas baisé André?

- Un bout pourquoi?

- Pour rien… pour rien.

On travaille une petite heure. André ponctue ses phrases de mots doux à l’intention de Paul : l’enfoiré, l’enculé, il va voir cet imbécile, connard, saloperie de sa race (Paul est blanc, André aussi, moi aussi. Ça ne fait pas une histoire politiquement correcte, mais c’est notre situation et ça permet à André de passer ce commentaire qui – dans d’autres circonstances – ne serait pas approprié), enfant de chienne (j’ai rencontré sa mère lors d’un enterrement familial, très sympathique la dame, André exagère)… C’est distrayant en travaillant et c’est aussi bien que siffler. Bref, au bout d’une heure on a terminé et André a envie de pisser.

C’est un détail qui a son importance, parce qu’il se rend aux toilettes qui sont au bout du local, aussi bien dire au bout du monde. Je suis donc seul avec la rouquine derrière le comptoir et j’ai quelques minutes à perdre.

J’ose. Je me lève. Je me rassois, mais au comptoir cette fois. Je me penche, lui fais signe. Elle vient me voir. Elle me sourit. Je n’ai rien à dire, alors je lance une banalité.

- Élémentaire ma chère rouquine?...

- Ouep. C’est moi. Bref : le financement du café vient de mon frère, il s’est conservé le droit de le nommer comme il le voulait. J’ai pas eu mon mot à dire. Quoique je ne me suis pas gêné pour lui faire part de mon avis. Autre chose?

- J’imagine que la question revient souvent…

- Non, du tout, t’es le premier. Jamais on ne m’a passé de commentaire sur ce détail ou simplement sur le fait que je sois rousse.

- Plutôt flamboyante, ça surprend.

- Je suis rousse et surprise : J’ai aussi le droit de me teindre les cheveux!

- J’ai l’impression d’être désagréable.

- Écoute, c’est pas exactement toi.

- C’est déjà ça.

- Mais c’est toi aussi. Tu sais, je travaille ici. C’est mon boulot. Comme toi tu te rends dans ton bureau aseptisé tous les matins, moi je viens bosser ici. C’était un rêve. C’est pas exactement ce que j’avais souhaité. Jamais j’aurais imaginé le nombre de gars qui confondent le service à la clientèle à la drague.

- Ok…

- Je veux pas être draguée. Je veux rien savoir.

- Ok…

- Mec, je travaille ici. Tu comprends ce que ça veut dire? Est-ce que ton travail implique que tu dois te faire aborder à longueur de journée par des gars qui ne veulent que savoir si le poil dans ta petite culotte est de la même couleur que tes cheveux?

- Non…

- Alors, laissez-moi tranquille.

- Ok.

On s’est regardé un instant. J’imagine que j’avais des yeux piteux. Je n’étais pas gros dans mes petites culottes contenant des poils noirs. Elle a compris que j’étais plutôt sonné par sa tirade. J’ai vu dans ses yeux qu’elle était désolée avant qu’elle s’avance pour le dire.

- Je m’excuse.

- C’est correct. C’était plutôt clair et articulé, difficile de ne pas comprendre.

- Non, c’est pas correct. Si je dis ça à tous les gars qui rentrent ici je n’aurai plus de client d’ici un mois.

- Là, t’as un point. Et puis, j’aimerais juste préciser un petit quelque chose.

- Lequel?

- Je n’ai pas confondu le service à la clientèle et la drague.

- Si tu le dis.

- Mon collègue oui, mais pas moi. Pour ma part, je me juste dis que cette fille est jolie, qu’elle semble en confiance derrière son comptoir, qu’elle semble maîtresse de céans et que de l’aborder dans ces circonstances est encore mieux que d’attendre sur le trottoir qu’elle finisse de travailler et de la suivre jusqu’à ce que ce soit le bon moment de l’aborder.

- Je te confirme que si t’avais fait ça, t’aurais eu des chances d’être aspergé par du poivre de Cayenne.

- Ça se vend légalement ça?

- Tu peux revenir à six heures si tu veux le savoir.

- Non, ça va aller. Tout ça pour dire que si tu étais dans un bar et que je t’abordais tu pourrais me dire « tu sais mec, je veux juste boire un verre tranquille, est-ce que c’est trop demander? », au gym « mec, tu crois que je me fais chier à suer en me disant que je suis à mon meilleur et que c’est le moment idéal pour faire des rencontres? », à la pharmacie « ok, t’es pas sérieux, vraiment? Dans l’allée des serviettes hygiéniques? » et dans la rue on sait déjà comment ça aurait terminé….

- Je devine ton point.

- Mon point est que sur ton lieu de travail, c’est un lieu comme une autre, puis je me fous de la couleur de tes poils pubiens et à vrai dire, je me fous aussi du nom de ton café, de ton horaire, de ton statut marital, mais je sais que tu as un frère et que tu découvres que ton rêve n’était peut-être pas aussi idyllique que tu l’avais imaginé. Du coup, on a eu une vraie conversation. Merci, moi c’est Philippe.

Je vois André qui sort des toilettes et rajuste sa braguette (pourquoi il ne l’a pas fait derrière la porte close? Allez savoir!). La rouquine me regarde gravement.

- Moi c’est Stéphanie.

Elle me tend une main que je serre avec un grand sourire.

- Enchanté Stéphanie.

- C’est Stéphany, avec un « y ».

- Pardon, enchanté Stéphany.

- Ça parait pas, mais je sais toujours quand quelqu’un fait une faute dans mon prénom, même à l’oral.

André arrive à notre hauteur et me sourit comme un demeuré. Stéphany nous tourne le dos aussitôt. Je devine qu’il n’est pas exactement son genre d’homme (ou d’humain).

On passe la porte et André me lance encore un coup de coude dans les côtes.

- Petit cochon! Et puis? Ça s’est passé comment?

- Je sais pas, tu demanderas à Paul.

Et je le plaque là, alors qu’il se demande quel est le lien entre Paul et Stéphany.

Moi je sais que je ne supporterai plus les sautes d’humeur de Paul.

J’en souris comme un con en marchant vers Églantine, qui est stationnée deux rues plus loin.

dimanche 9 avril 2017

Chapitre 2 : Églantine

J’ai connu Églantine dans un dinner de la Nouvelle-Angleterre. Je ne me souviens plus ce que j’y faisais exactement, comment j’y étais arrivé ou même si j’étais avec quelqu’un. Tout ce dont je me souviens, c’est d’un café pas assez fort et du reflet d’un rayon de soleil dans son pare-brise. Littéralement, j’ai été aveuglé par cette bagnole.

C’était une MG Midget 1975 décapotable, rouge. Elle était littéralement envoûtante. Juste à la voir stationnée à quelques mètres de moi je m’imaginais déjà sur les routes à son volant. Le propriétaire est rentré dans le dinner, a salué la serveuse et le patron à la cuisine avant de s’installer sur un tabouret. 



Ça n’a pas été long, quelques minutes tout au plus, avant qu’il remarque que je dévorais sa voiture des yeux. Je devais vraiment avoir l’air du loup dans la bergerie. Il n’est pas exclu qu’un filet de bave se soit accroché à mes lèvres. Il s’est levé, est venu vers moi et m’a dit, dans un anglais que j’ai compris non sans difficulté, qu’elle était à vendre.

Je lui ai simplement répondu qu’elle ne l’était plus.

Chaque hiver c’est la même histoire, je dois me résoudre à l’abandonner quelque part en espérant qu’elle survive à l’hiver. Je n’ai pas les moyens de l’entreposer et je n’ai pas de garage où je pourrais la laisser en sureté. Alors, à la première neige, au premier verglas, je l’abandonne où je suis à ce moment-là. Je la couvre d’une bâche, qui est toujours dans le coffre, et la quitte en marchant sans me retourner. Je ne sais plus on en est à combien de séparations et de retrouvailles, mais ça me déchire toujours le cœur de l’abandonner et c’est une des plus belles joies de ma vie quand je la retrouve.

Ce matin, je m’en vais la chercher. Je ne suis même pas certain d’où je l’ai laissé. J’hésite entre un entrepôt du nord de la ville ou sous une bretelle d’autoroute dans l’ouest de l’île. Je me souviens qu’elle ne voulait pas monter une pente qui était à peine enneigée. Elle se dirigeait vers le gouffre, vers le caniveau et il n’était pas question que je la laisse faire. Contre son gré je l’ai donc protégée d’elle-même et l’ai abandonné. Je crois que l’entrepôt c’était l’année dernière, ou l’autre d’avant. Sous une bretelle, j’en suis presque certain.

Durant l’hiver, j’y pense peu ou pas du tout. J’habite en ville depuis si longtemps que je me suis fait aux transports en hiver, au grésil, aux congères et même quand je donne un coup de pelle pour aider un copain à dégager sa voiture, Églantine n’est pas derrière mes yeux. C’est une voiture d’été. Elle a été conçue pour ça. Elle est faite pour s’exposer au soleil, pour que des bras nus et des jupes trop courtes caressent sa carrosserie, son cuir.

C’est pourquoi dès les premiers rayons de soleil je commence à la revoir dans ma soupe. Des fois c’est le ronronnement d’un moteur qui passe dans la rue, parfois c’est un vent chaud sur mon visage qui me rappelle c’est quoi être dans son ventre. Et quand je me mets à y penser, rien ne pourrait m’empêcher d’y retourner.

Lorsque je m’assois sur ses sièges de cuir réchauffés par le soleil, lorsque je pose mes mains sur le volant de bois, lorsque je mets mes lunettes de soleil pour la route, c’est comme si elle m’invitait à mourir à ses pieds, à lui baiser la carrosserie et la faire sentir dame de nouveau…

Il n’y a pas de trottoir aux abords des bretelles d’autoroute, pas plus qu’il y a d’arrêt d’autobus ou de chauffeur de taxi prêt à s’arrêter près des voitures qui filent à toute allure vers d’autres histoires. C’est donc quelque chose comme une corrida, une partie de cache-cache, de sauve-qui-peut et de petites peurs qui en valent la peine. Éviter les voitures, marcher sur le bas-côté, enjamber les terrepleins de béton : tous ces obstacles sont autant de mesures de sécurité pour protéger Églantine du monde extérieur.

Puis, je la vois, l’entrevois. Derrière un gros pilier de béton gris, je vois une bâche devenue grise elle aussi après l’hiver. Je m’approche et je sens mon cœur qui veut sortir de ma poitrine pour aller à sa rencontre plus rapidement. Je pèse mes pas. Je marche d’un rythme posé. J’accorde à cette réunion tout le décorum nécessaire, mérité.

Ma main se pose sur le tissu ciré. Je n’aurais pas autant d’émotions à poser la main sur une cuisse dénudée. Les quelques fois où une femme s’est laissée aller sur ses sièges de cuir j’avais l’impression de faire l’amour à trois. Le crissement du cuir torturé par nos ébats était un gémissement de plus se joignant aux nôtres.

Incapable de résister plus longtemps, je m’emballe. Je tire sur la toile, je grogne, je serre les dents, je voudrais qu’elle soit déjà là, nue, offerte à mes yeux.

Et la voilà. À peine plus poussiéreuse que lorsque je l’ai laissée. Superbe. Je regarde par la fenêtre de la portière et anticipe tout le plaisir que nous aurons ensemble. Elle est belle, je lui dis, lui murmure, mais c’est moi qui rougis.

Il y a quelque année, la serrure avait rouillé durant l’hiver et la clé n’a jamais voulu tourner. J’ai cru que j’allais mourir; si près du but et si loin malgré tout…

Depuis, j’ai peur, à chaque fois. Je retiens mon souffle. Je m’insère. Je prends un moment où j’arrête tout mouvement, où je cesse de bouger. Je ressens chaque muscle de ma main, chaque tendon, chaque impulsion dans les nerfs qui parcourent mon corps. Je suis à veille de connaître de nouveau tant de plaisir. Du moment où je tournerai la clé, rien ne sera plus pareil. Ça ne pourra plus jamais être comme avant. Ce sera une autre été avec elle, une autre saison à sillonner les routes, à faire tourner les têtes, à rendre jaloux le monde entier.

Elle saura toujours m’aimer davantage que ce que je peux lui offrir, sans jamais m’en tenir rigueur.

Étrangement, les minutes suivantes sont un peu floues. Je suis entré, elle n’a pas fait d’histoire pour démarrer et nous sommes partis. Nous avons roulé quelques minutes ou quelques heures. Je crois que je l’ai décapotée pour quelques kilomètres. Je me souviens que j’avais froid aux doigts sur ce volant de bois. Le printemps ne pointe qu’à peine le bout du nez. Peut-être ai-je été trop empressé?

Je suis rentré, l’ai laissé à quelques rues de chez moi. Puis, j’ai été faire une sieste avant de rentrer au boulot.

C’est André, mon collègue, qui a passé un commentaire au diner.

- T’en fais une tête! T’as passé la nuit sur la corde à linge?

- Presque… Églantine.

- Tu la vois encore celle-là? C’est cyclique ou quoi?

- C’est une vieille histoire d’amour compliquée, c’est tout.

- Mais une belle histoire, si je me fis à tes cernes…

- J’ai été la revoir cette nuit, pour la première fois depuis l’automne dernier.

- Ah oui? Elle est dans quel coin?

- Dans l’ouest de l’île.

- Et tu y as été comment?

- En transport en commun, puis à pied.

- Ça ne te manque vraiment pas de ne pas avoir de permis de conduire?

- Ça n’a jamais gêné Églantine.

mercredi 5 avril 2017

Chapitre 1 : Une porte rouge dans St-Henri

Je vais essayer de raconter ça sans avoir l'air fou ou sans que ça semble trop étrange : je me suis réveillé dimanche en me demandant si je n'avais pas oublié de quitter mon appartement de St-Henri.

Ok, je clarifie : je ne me suis pas demandé si j'avais oublié de fermer la porte de mon appartement ou si j'étais encore dans mon lit. Non, je me suis réveillé et je me suis demandé si je n'avais pas un deuxième appartement où j'aurais encore des choses après toutes ces années. Sans être en mesure de dire combien d'années.

Je n'ai aucun souvenir de mon déménagement. Aucun. En fait, je n'ai le souvenir que de trois moments à cet endroit : le jour où j'ai emménagé, la première fois où j'y ai fait l'amour avec Véronique (dans l'entrée, nous étions pressés) et la dernière fois où j'ai verrouillé la porte d'entrée.

Je me souviens pourtant très bien de l'appartement lui-même! Je pourrais vous décrire les décorations, la manière qu'a le soleil d'illuminer le corridor quand il frappe les fenêtres du devant en début d'après-midi au printemps. Je pourrais vous parler de la porte-fenêtre de la cuisine qui donne sur la petite cour entre trois immeubles, qui ne voit jamais le soleil, qui était si privée que je pouvais y lire nu.

J'avais un différent système de son aussi, une petite chaine bien ordinaire, grise, sans nom, qui était là pour faire jouer la radio seulement. Moi qui n'aime pas tant la radio. J'avais une affiche d'un poète dont j'ai oublié le nom, un grand chevelu, une photo noir et blanc...

Je n'ai vraiment aucun souvenir de l'avoir quitté. Je ne me souviens pas non plus du loyer. Je me souviens que je ne gagnais pas cher à l'époque, alors ça devait être des misères parce que sinon je ne vois pas comment j'aurais pu me le permettre en plus de la bagnole.

C'est une autre chose ça : j'ai complètement oublié ma bagnole, tout l'hiver. Demain, j'irai la chercher.

Enfin, dimanche je me suis réveillé en songeant à cet appartement et j'ai vraiment eu envie de le revoir. Ce qui est drôle, c'est que depuis des années il y avait cette clé dans l'entrée, cette clé sans nom, sans identification, dont j'avais oublié le rôle. Je suis pas mal certain que cette clé c'est celle de mon appartement dans St-Henri.

Ce matin, je suis parti tôt pour aller le revisiter. Mon plan était plutôt imprécis : j'allais le retrouver, sonner, cogner, tenter de voir si la décoration a changé et ce n'est pas le cas, insérer la clé dans la serrure. Et là, espérer que la vie ne soit pas aussi étrange qu'elle me parait. L'improvisation allait s'occuper du reste.

J'y ai été en métro, parce que j'ai pas encore été chercher ma bagnole. Maintenant que le printemps est de retour, ça va être vraiment chouette de me retrouver encore une fois sur les routes, avec le vent et la radio comme seuls accompagnements. Tiens, encore la radio.

Sorti métro Place St-Henri, j'y ai été un peu par instinct. À droite par ici... ah je reconnais ce dépanneur, à gauche par-là... ou peut-être pas? Après une vingtaine de minutes, je suis revenu en arrière et me suis mis à rire tout seul sur le trottoir.

Imaginez-vous que ce matin, dans St-Henri, y'avait un gars sur le trottoir qui tenait la clé de son appartement dans les mains, mais qui avait oublié où était celui-ci.

Je me souvenais de l'immeuble : deux étages, façade de granite, porte rouge. Incrédule envers moi-même, j'ai déambulé un temps en me disant que ça allait me revenir. Ça ne m'est pas revenu.


 

En désespoir de cause, après deux heures à chercher sans succès, j'ai appelé ma mère.

- Maman?

- Philippe! Je suis content que tu appelles. Comment ça va mon gars? Tu m'appelles pas pour une mauvaise nouvelle j'espère?

- Ça va très bien maman. Je t'assure que tout va très bien et je ne t'appelle pas pour t'annoncer quoi que ce soit.

- Ça va toujours bien avec ta copine?

- Je n'ai plus de copine pour l'instant, mais je te promets que je travaille fort pour te trouver des petits enfants!

- T'es comique! Je veux juste que tu sois heureux...

- Je sais... M'man, tu te souviens de mon appartement dans St-Henri?

- Mmmm pas vraiment, c'était à quelle époque?

- À peu près quand j'ai rencontré Véronique... plus ou moins quelques années...

- C'était pas l'époque où tu avais cette belle voiture? La belle voiture rouge, sportive, ancienne?

- Je l'ai toujours maman, c'est Églantine.

- Ah tu sais, c'est la mémoire qui lâche en premier...

- Ouin, je suis au courant... je ne me souviens plus de l'adresse de cet appartement.

- Désolée, je ne peux pas t'aider avec ça... je ne me souviens plus. En fait, je ne me souviens plus si j'y ai même été. Est-ce que je t'ai aidé avec le déménagement?

- Pas à mon souvenir...

- Alors, désolé mon gars. Tu devrais peut-être appeler Véronique?

- On se parle plus vraiment...

- C'est dommage, je l'aimais bien cette fille.

- Je sais... Allez, je te laisse, je vais voir si je trouve quelqu'un qui peut m'aider à trouver cette adresse.

- Ok, bonne chance. Je t'aime mon gars!

- Je t'aime aussi M'man.

Elle n'avait pas tort. En bonne mère, en fait, elle avait raison. L'idéal était de recontacter Véronique. Je ne lui avais pas parlé depuis des années, mais nous avions toujours quelques amis en commun. Aux dernières nouvelles elle avait deux enfants et un mari ventripotent. Je ne me suis jamais tout à fait remis de ma séparation avec elle. J'avais vraiment cru que nous finirions à l'auspice ensemble. J'étais un peu heureux que son homme soit un peu gros.

J'ai commencé par sa meilleure amie. Sa meilleure amie de l'époque, parce que j'avais entendu entre les branches que ce n'était plus pareil depuis que Véro avait accouché. Mélodie m'a confirmé qu'elles ne se parlaient plus, mais qu'il lui ferait vraiment plaisir de me revoir. J'ai échangé quelques promesses un peu vides pour passer à ma prochaine source. Quelque part dans le creux de mon cerveau de mâle un peu primate, une petite lumière s'est allumée avec écrit dessus «possibilité de baise».

J'ai contacté deux, puis trois, puis quatre de nos connaissances communes et tous m'ont dit qu'elle avait coupé les ponts avec ses anciennes connaissances.

Acculé au mur, je n'ai pas eu le choix : j'ai appelé son frère. Je ne retranscrirai pas notre conversation parce que ça n'a pas été très joli par moment, mais au bout du compte il a fini par me dire son numéro de téléphone.

Alors, je l'ai appelée.

- Véronique?

- Philippe!? Oh mon Dieu! Comment ça va? Attends, je me libère, je peux te rappeler? C'est quoi ton numéro?

Je lui ai donné mon numéro, elle m'a assuré qu'elle me rappellerait 5 minutes plus tard.

Une heure plus tard, n'en pouvant plus de faire le pied de grue sur les trottoirs de St-Henri, j'étais assis à une table d'une chaîne de restauration rapide spécialisée en beignes quand mon téléphone a sonné.

- Philippe! Je suis si heureuse d'avoir de tes nouvelles!

- Moi aussi Véronique, ça fait quoi... 5-6 ans?

- Au moins 8, c'était avant la naissance de Gabriel.

- 8 ans... wow.

- Qu'est-ce qui se passe avec toi?

- Oh, tu sais...

Et je ne pouvais pas vraiment y échapper, alors j'ai raconté tout ce qui s'était passé durant les 8 dernières années: mes trois appartements, les deux chats, les trois séparations, l'avortement, la faillite, la dépression, les médicaments, l'internement, la remontée de la pente, la stabilité, le job tranquille et payant, le retour à la vie normale...

- Wow... moi je suis juste mère et mariée. Tu sais que j'ai une petite entreprise de confitures à la maison?

- Non! Ça se trouve où tes confitures?

- Pour l'instant, c'est assez confidentiel, je vends à mes amis et ma famille, mais bientôt ça va vraiment être gros. Mon mari est en train de me faire des étiquettes sur l'ordinateur...

Dire que j'avais été fou de cette femme. Je l'avais échappé belle.

- Tu sais pas quoi?

- Non.

- Je suis dans St-Henri.

- Et?

- Ben c'est con, mais je cherche l'adresse de mon appartement dans St-Henri.

- Et?

- Ben, je me suis dit que tu t'en souviendrais peut-être.

- Pourquoi?

- Parce qu'on se connaissait à l'époque.

- Ah non. T'habitais sur Rosemont quand on s'est connus.

- Ben non, tu te souviens pas de notre première fois dans l'entrée?

- Oui, mais c'était sur Rosemont.

- Non, non, je t'assure, c'était à St-Henri. Y'avait cette patère dans l'entrée...

- SUR ROSEMONT. Écoute Philippe. Cette fille, c'était pas moi et j'ai pas vraiment envie de repenser à mes baises d'il y a dix ans avec un homme qui n'est pas le père de mes enfants. Tu comprends ça j'espère?

- Oui, oui... désolé...

- Allez, je dois te laisser, les enfants n'arrêtent pas de courir partout, mais ça m'a fait plaisir de te parler. Rappelle-moi, on ira prendre un café. Je t'emmènerai un pot de confiture maison.

- Super, j'ai vraiment hâte! À bientôt!

J'ai raccroché avec un drôle de sentiment dans le ventre. Je venais de passer près de 4 heures à chercher un ancien appartement sans le trouver. Et puis, après avoir parlé à Véro j'avais une idée : c'était il y a 10 ans plus ou moins... c'était quoi cette quête de fou?

J'ai jeté l'éponge et la clé dans un égout. J'ai regretté immédiatement, mais c'était fait.

Je suis rentré chez moi en me consolant avec la seule chose qui pouvait encore me consoler : demain, j'allais aller chercher Églantine.

Ma bagnole me manquait.

mardi 21 mars 2017

Making friends sans baiser



 

Parc'que tsé, les seul.e.s ami.e.s que j'ai vraiment réussi à m'faire dans vie sans baiser, c'est ceuses du primaire pis du secondaire. Que j'vois pu pour toutes sortes de raisons. 

Pis aussi mon amie M., mais au début j'aurais voulu. Mais j'ai préféré que ça arrive pas. C'était mon premier move volontaire pour me faire une vraie amie ever. Heille, wow.

Basically, j'me r'trouve aujourd'hui dans une situation où la plupart des personnes que j'connais j'ai baisé avec. 
J'me shame pas là-dessus.
C'tait cool et ça en valait l'expérience vraiment.
Pour toutes sortes de raisons.
Mais j'sais aussi qu'j'avais un issue. Ouin.
J'cherchais l'attention, l'affection, l'amitié et l'amour par le sexe. J'me suis perdue.

Ça fait vraiment pas longtemps qu'j'ai acknowledged tout ça. Pis ça m'a emmenée vers toutes sortes de réflexions introspectives. Comme me demander si j'suis worth friendship par exemple. Bleh.

Pas avoir d'ami.e.s c'est rough. 

Tsé y'a jamais personne qui t'texte pour savoir comment tu vas. Ou si t'as envie de sortir genre. Pis se faire des ami.e.s quand t'es toute seule c'est vraiment pas évident. T'as déjà l'air de pas en avoir! Y'a comme un shaming en partant. Comme si, forcément si t'as pas d'ami.e.s, c'est qu't'es poche comme personne. 

Faque ouin, tu fais du OkCupid ou t'appelles Marie-Machin-Truc.

Pour toute sortes de raisons. Même si tu sais très bien que c'est pas du love ou de l'amitié. Pis le cercle vicieux continue.

Il m'aura fallu 10 ans de déboires variés pour enfin comprendre. Me comprendre moi en fait. Défaire mes nœuds face à l'amour. Parce que, oui, l'amitié c't'une forme d'amour. Pis qu'j'arrivais pas à en recevoir, ou jamais en avoir assez (même quand c'tait fake). Parce que je m'aimais pas. Un baume.

Anyways.

J'ai rencontré mon amoureuse il y a quelques mois! Une personne qui m'a littéralement sortie la tête d'en d'ssous d'l'eau. Une personne qui m'a apprît à m'aimer plus. Une personne qui m'a vue moi. 

...Pis j'ai rencontré ses amies.

J'ai vraiment été surprise qu'elles s'intéressent à moi. Elles avaient envie d'me connaître. Me posaient des questions. Ça allait crissement dans l'sens contraire que d'habitude. C'est pu moi qui forçait genre. Ni elles. C'était juste fluide pis beau en criss comme feeling. J'ai commencé peu à peu à prendre confiance en moi. Me dire que j'suis pas si pire. Me trouver intéressante maybe. Mais ça reste SES amies. Ça feel d'la triche pour moi si j'me les approprie. J'veux les mien.ne.s.

Facebook.
Le mot ami.
J'reconsidère constamment l'concept.
Et si c'était possible?
Que ce soit vrai.

Tsé, c'est quand-même une place où je connais des personnes avec qui j'ai pas baisé! Pis que j'avais quelques ami.e.s d'ami.e.s avec qui j'avais des affinités. Pis je passais vraiment beaucoup trop de temps à penser au fait que j'ai pas d'ami.e.s... J'me suis déniaisée.

Well. Je sais pas vraiment comment j'ai trouvé la force de me mettre à parler à J-A.
Ni comment j'ai réussi à me déprogrammer. C'est arrivé comme ça. On s'parle de plein d'affaires. On est contentes de s'connaître. On s'apprécie full. C'est vraiment nice.
Pis elle est venue à la maison c'weekend. C'tait chouette.
J'me suis sentie aussi bien qu'quand on parlait sur Messenger. 

J'ai trouvé une amie. 

On va s'revoir ce weekend et ça m'remplie fucking tout plein de joie.

J'vais lui présenter mon amoureuse et ma fille. Elle, son amoureux et les enfants. J'suis comblée.

J'me suis par contre surprise à commencer à m'arranger pis m'mettre belle avant qu'on s'voit la première fois!! Da fuck? Dating habits! J'suis contente d'avoir arrêté ça.

Pour toutes sortes de raisons.


*
 
Texte gentiment offert par Mai Louve


mardi 7 mars 2017

Le tango


Je me suis réveillé seul. Elle s'était pourtant endormie sur mon épaule. Une nuit avait fait basculer le rêve en une dure réalité qui était froide sous les draps. J'ai regardé le plafond, parce que c'était tout ce que j'avais à contempler, prêt à accepter qu'elle n'eût été que de passage. J'ai regardé l'heure, me suis dit que je pouvais encore dormir un peu. J'ai entendu un filet d'eau en provenance de la cuisine.

Édith s'était simplement levée tôt, plus tôt que moi. Elle s'était réveillée et avait caressé mon dos, avait posé un doigt sur ma joue et souris en voyant ma bouche ouverte. Je ne ronflais pas, mais c'était tout comme. Elle avait réprimé un fou rire qui m'aurait réveillé et qui aurait trahi qu'elle aimait bien cet enfant qui avait mon âge.

Elle n'était pas, encore, chez elle. Malgré ça, ou peut-être pour cette raison, elle prenait déjà des notes mentalement : un rideau à changer, une porte à peinturer, un meuble à décaper, un quelque chose à changer, un truc à ajouter, une habitude à dompter.

C'était de bonne guerre, elle savait que si je me permettais de résister à l'occasion, ce n'était que pour la forme. J'étais sous son emprise et devais me faire violence pour ne pas être simplement soumis. Non pas par dignité, mais simplement pour conserver cette étincelle dans ses yeux lorsqu'elle voyait un homme devant elle et non cette chiffe molle que je désirais tant être sous ses doigts.

Je devais faire semblant d'être dominant, elle faisait semblant d'être dominée. Nos rôles étaient parfaits. Nous dansions un tango ridicule : je ne dirigeais qu'en rêve, elle ne suivait que pour la forme.

J'ai enfilé ma robe de chambre et j'ai été la rejoindre à la cuisine. Elle n'y était déjà plus, elle était passée au salon où elle mesurait la largeur d'une fenêtre. Dans la cuisine, j'ai trouvé du café, je me suis servi. Je ne l'ai pas suivi. Elle ne pouvait pas ignorer que j'étais debout. Le café était là pour moi, ce n'était pas un hasard.

Édith était bien dans cet univers qui était mien et caressait la possibilité qu'il soit sien. L'appartement avait été un appartement d'homme si longtemps, qu'elle songeait parfois à simplement abattre les murs pour recommencer à zéro. Elle y pensait, sérieusement, sans penser à moi et je n'avais rien contre ça.

Je suis repassé à la chambre et j'ai eu une surprise : mes rideaux étaient ouverts. Ma chambre n'avait jamais vu la lumière. Je n'avais jamais pris le temps de l'aménager, de la rendre belle, pour moi elle n'était que pratique : dormir, baiser, stocker mes vêtements. À la lumière du jour, mon manque d'amour pour cette pièce me crachait à la figure.

Le temps de m'habiller, j'ai fermé les rideaux. Je n'ai pas manqué de les rouvrir pour lui faire plaisir. Je devinais Édith comme ça.

Elle s'affairait de nouveau à la cuisine, les ustensiles s'entrechoquaient, un poêlon s'agitait sur la cuisinière, des assiettes s'entrechoquaient.

Édith était à la cuisine et préparait un petit déjeuner. Elle le faisait pour deux, mais ne m'attendait pas. Elle sifflotait, pensait délaisser son poste un instant pour aller mettre de la musique, mais ne voulait pas tenter ma chance. J'allais revenir, se disait-elle, et j'allais pouvoir m'occuper de ça.

Quand je suis arrivé dans la cuisine, mon assiette était sur la table. Elle n'avait pas d'assiette. Édith avait mangé debout, devant la cuisinière, sans m'attendre. Elle était désormais au salon.

En mangeant mon omelette, je l'ai regardée continuer son drôle de bal. Elle passait d'un coin à l'autre de la pièce, replaçant un coussin, consultant son téléphone, regardant dehors. Dans la tête d'Édith se battaient son désir de faire sien l'endroit et son désir de n'y rien changer.

Après tout, elle était tombée amoureuse de moi dans ce salon, dans cette chambre, dans cette cuisine. Oui, elle avait envie de vivre chez elle, mais à quel prix? Allait-elle pouvoir changer suffisamment cet appartement pour qu'il laisse entrer la lumière? Allait-elle pouvoir aimer cet endroit pour une autre raison qu'elle y soit tombée amoureuse?

J'ai terminé mon petit déjeuner et nettoyé mon assiette. Je l'entendais toujours passer d'une pièce à l'autre. J'entendais parfois le gallon à mesurer, parfois un rideau être tiré. Quand j'ai terminé mon café, je me suis dit que j'allais la chasser, l'acculer à un mur, peut-être même l'embrasser.

Édith avait envie que je l'embrasse. Elle était nerveuse. Elle savait bien que je la voyais tanguer d'une pièce à l'autre, m'éviter sans le vouloir, sans le faire. Elle savait que je m'imaginais assez bien ce qui pouvait se passer dans sa tête. Édith me connaissait sans devoir m'apprendre.

Je l'ai suivie, au son, dans cet appartement qui était trop grand pour nous deux, et l'ai trouvée dans le corridor. Elle s'apprêtait à passer d'une pièce à l'autre. Je me suis arrêté sans pour autant être un obstacle. Je ne voulais pas l'effrayer. Je ne voulais simplement qu'elle s'arrête un instant.

- J'aime ça te croiser chez toi, qu'elle m'a dit, me glissant un baiser sur les lèvres.

Édith ne savait quoi dire, alors m'embrasser était la meilleure solution. Elle savait que j'allais répliquer, que j'allais dire quelque chose de plus, quelque chose qui viendrait malheureusement alimenter une enchère stupide : non, je ne l'aimais pas plus qu'elle m'aimait.

Je n'ai pas eu le temps de lui dire que moi aussi j'aimais ça, que j'adorais ça la croiser dans mon corridor. J'aurais voulu glisser aussi que ce n'était plus tout à fait le mien, mais un peu le sien aussi... Elle m'a évité et a recommencé sa course.

Je n'en pouvais plus.

Ça ne pouvait pas durer plus longtemps.

Je suis descendu au sous-sol et ai été chercher une masse. Je voulais quelque chose de maniable qui puisse faire du dégât et maintenant que je l'avais en main c'était si bon. C'était lourd et massif. Il n'y avait aucune façon qu'elle puisse l'éviter.

Je suis remonté et j'ai attendu dans la chambre. J'étais assis sur le lit, la masse sur mes cuisses et j'attendais.

Édith, s'inquiétant de ne plus m'entendre, sachant que j'avais joué dans les outils au sous-sol, hésitait à venir me voir. Heureusement, la tentation fut trop forte.

Elle est entrée, je me suis levé. J'avais cette masse dans les mains, la solution à tellement de questions, tellement d'hésitation, tellement de malentendus possibles...

Édith a ouvert la bouche quand elle m'a vu lever la masse au-dessus de ma tête.

Je crois qu'elle a eu peur un instant.

La masse s'est enfoncée et a fait un trou. Ce n’était pas joli à voir. Édith était pétrifiée, immobile devant moi.

J'ai laissé l'outil planté dans le mur, me suis approché d'elle. Ai pris sa tête toute chaude entre mes mains, y ai posé les lèvres et lui ai dit :

- Ton tour. On abat ce mur, y'a pas assez de lumière dans la chambre.




jeudi 2 mars 2017

L'écriture est une maîtresse exigeante

Écrire, c'est essentiellement faire l'amour avec des mots. Il ne faut pas brusquer les choses, il faut les effleurer en douceur, quitte à être surprenant par moment en changeant de direction, quitte à se faire dire «STOP!» en plein souffle. C'est un baiser sur une paupière, tout en douceur, ou un élan spontané qui vient forcer, qui vient transpercer l'âme d'un coup de fouet bien placé.

C'est des nuits blanches. C'est de l'alcool. C'est de l'amour. C'est de vouloir plaire à une muse. C'est d'être accablé lorsqu'elle n'aime pas, y retourner, réécrire, juste pour voir dans ses yeux ce moment où elle sera satisfaite. C'est réécrire avant même qu'elle ne le sache, juste pour éviter cette possibilité qu'elle nous brise le coeur.

C'est d'oublier que le reste est encore là, que l'univers n'arrête pas pour qu'un écrit naisse là où il n'y a que le vide. Écrire, c'est créer le besoin et sa solution. Créer un enthousiasme à partir du néant.

Écrire, c'est oublier qu'il y a un chaudron sur le feu, c'est oublier d'appeler le dentiste, c'est oublier de manger, de dormir, parfois même de boire... c'est espérer que l'amour viennent se pencher par-dessus une épaule pour poser un baiser délicat sur la nuque, pour nous enlacer de dos, sans être vexée de ne pas avoir de réciprocité.

Écrire, c'est se lever la nuit, encore tout chaud de ce corps laissé derrière, aller au clavier et clamer les mots qui m'ont réveillé. C'est décrire ce corps qui attend sans le savoir, pour mieux lui revenir lorsqu'on l'a immortalisé.

Écrire, c'est avouer qu'on est seul, face à un ordinateur, à raconter des histoires à personnes. Quand les loups pourront s'en régaler, je serai ailleurs, je ne pourrai les voir. Ils seront là, libres d'arrêter,

libres de commenter, alors que je serai ailleurs à angoisser...

Écrire, c'est aimer


C'est aimer des hommes, les autres et les femmes. C'est faire l'amour sans idéologie, sans race, sans religion, sans préférence sexuelle, sans âge, sans limites de temps, sans crainte, sans lendemain, sans promesse, sans oublis, sans déception, sans tristesse, mais tout ça à la fois dans une immense gerbe de feu brûlant. Un feu que l'on nourrit du bout des doigts, du bout des lèvres, que l'on peu amener avec soi pour réciter plus tard, quand il sera encore temps, quand viendra le moment, quand les mots seront d'une autre utilité, d'un autre chant...

Écrire, c'est s'emporter, s'envoler, prendre des raccourcis et des détours. C'est prendre la langue et la brusquer pour qu'elle vous offre ce qu'elle a de plus personnel à offrir : le style. Mon style, celui que vous lisez, évolue avec le temps, avec les connaissances, les lectures et les passions. Ce style, ce souffle, ce qui guide vos yeux d'une phrase à l'autre... c'est moi.

Écrire, c'est être nu.

Je suis nu devant vous.

Et votre regard me plait.

Merci.

mardi 28 février 2017

Fille, parait que j'suis une affaire

«Rares sont les hommes capables d'un amour total, tu fais parti d'eux, prends ton temps et choisi bien la prochaine chanceuse qui pourra en profiter. En fait, ton malheur d'aujourd'hui, c'est la meilleure des nouvelles pour toutes les filles célibataires qui cherchent un homme bon, intelligent, généreux et engagé.» Andromède.



Quand je me suis retrouvé célibataire, j'ai eu droit aux traditionnels: «Une de perdue, dix de retrouvées», «Tu connais pas ta chance» et à la meilleure d'entre toutes «Tu t'en souviendras pas le jour de tes noces». Vraiment?! De mes NOCES?

Puis, pour me calmer, j'ai eu ce mot d'Andromède (la citation du début, celle que t'as peut-être pas lue).

Andromède, c'est une histoire d'amour (passée) qui aura toujours eu un petit coin taillé sur mesure dans ma mémoire. Un peu comme la place que peut avoir ce film d'amour qui nous a marqué dans les années 80 et qui nous rend tendres juste à y penser. Sauf qu'elle est née dans les années 80 et tout ça c'est une autre histoire.

Bref, quand elle m'a écrit ça, j'ai pensé à toi fille. Je me suis dit que tu devrais le savoir : je suis un gars qui vient avec des références.

T'en connais d'autres?

Moi 1, les autres gars 0.

« Des références? J'en vois qu'une! »


Je me doutais de ta réaction. Alors, depuis qu'Andromède a ravivé la confiance qui sommeillait en moi, j'ai bravé la tempête et en ai contacté d'autres.

En toute franchise, je dois t'avouer qu'elles ne sont pas unanimes. Mais les critiques ne le sont jamais. Et puis, comme tout artiste qui se respecte, je dis que je m'en fous même si c'est pas vrai.

Je suis honnête et transparent, c'est déjà ça pour moi, non?

Si tu les contactais, elles te diraient :
  • Qui? (la fille que je compte comme ma première blonde, même si on n'a frenché qu'une fois quand j'avais 12 ans)
  • Heu... oui... bon... (la fille qui en a marre qu'on lui rappelle qu'elle m'a frenché dans un bar, puis qu'elle a recommencé le lendemain, puis qu'on a baisé comme des lapins sans qu'elle arrive à se souvenir de mon nom d'une fois à l'autre)
  • J'y retournerais n'importe quand (la fille qui m'a laissé en me disant que la vie avec moi c'était plate)
  • Le sale enfant de ***** (la fille qui m'envoie des cartes postales à la St-Valentin)
  • Tu crois que je lui plairais toujours? (la fille qui avait un trop gros problème de confiance en elle)
  • Chouette type, n'hésite pas (la fille qui me déteste et déteste toutes les femmes sous prétexte que j'en ai rencontré d'autres après elle)
  • Un peu intense, mais cool dans le genre (la fille qui a emménagé avec moi après 2 semaines)
  • Je t'arrache les yeux si tu y touches (la fille que j'ai vu hier soir...)

Moi 2, les autres gars 0. (Je m'accorde le point parce que c'est majoritairement positif)

Côté cul


Maman, c'est le moment où je serais plus confortable si tu cessais de lire. Je te jure la suite ne vaut pas la peine que tu vives ce malaise. Pareille sœurette. Pareil collègue avec qui j'ai une réunion demain matin...

Ok, je n'ai plus la forme et la fougue de mes 20 ans, ni même de mes 30. Je l'avoue. Fille, c'est triste, mais un homme qui vieillit sans prendre soin de son corps, ne sera jamais que l'ombre de ce qu'il a été. Il restera malgré convaincu de ses capacités et de ses prouesses. Il rentrera le ventre pour les photos et appuiera son verre sur celui-ci sans y penser durant vos premières soirées.

Fille, je suis un homme. Je me mens sans même rougir. Au lit, je suis fantastique.

Fille t'es pas obligé de me croire sur parole : j'ai encore des références.

Je venais de raccrocher le téléphone, je venais de parler avec celle qui te promettait de t'arracher les yeux, quand je me suis dit que la chose qui t'intéresse sans doute le plus en ce moment c'est de savoir ce que je sais faire d'un clitoris.

Non?

On n'est pas encore en relation, tu me trouves intéressant, mais à notre âge on teste avant d'acheter. Et comme ça fait un bout que tu rencontres des gars, tu commences à être tannée de tester sans avoir envie d'acheter ensuite. Faque, tu testes plus.

Ça tombe bien, y'en a d'autres qui ont testé avant toi.

Depuis que je suis célibataire, les exe-maîtresses n'arrêtent pas de me recontacter (y'a un bat-signal dans le ciel quand je disponible parait-il), donc j'ai pensé faire un petit sondage auprès d'elles.

Voici ma méthodologie. J'ai dit « Ô mon Dieu, à mon âge et après avoir été en couple si longtemps, je ne suis pas certain d'encore savoir comment »

Et elles m'ont dit de belles choses en retour:

  • T'as un don naturel, ça va revenir, laisse-toi le temps (la fille qui fait du vélo. Oui, sa phrase s'est terminée avec «c'est comme faire du vélo...»)
  • T'as toujours été doué, je vois pas pourquoi ça aurait changé (la fille qui respirait très fort dans le combiné du téléphone)
  • Tu fais toujours le truc avec ******* et ******? (La fille qui avait aimé. Pour la référence en question, désolé, c'est un secret professionnel que je ne souhaite pas dévoiler pour l'instant. Peut-être dans mes mémoires)
  • Tu fais quoi ce soir? (La fille qui avait envie de baiser)
  • T'étais meilleur que XXXXX et que XXXXX (Ha Ha! J'ai toujours su que tu avais baisé avec XXXXX)

Seul accroc? Mes références datent toutes de quelques années. Fille, j'étais en couple!

Moi 3, les autres gars 0. (Juste parce que les références datent)

Conclusion (heu... je suis une affaire!)


Je suis relativement propre (j'ai une barbe, ça passe ou ça casse), relativement à l'aise dans la vie (genre, je travaille), j'ai relativement un immense appartement (genre plus grand que la maison de tes parents, mais c'est pas une raison pour les inviter samedi soir), une belle grande bibliothèque, une belle discothèque, un bon système de son, une cuisine qui fonctionne à plein régime, un régime de retraite (si ça t'allume, parce que moi... pffff), j'ai des livres partout, j'aime faire ça le matin (le midi et le soir aussi), je considère qu'un cunnilingus devrait être donné comme la fellation a été popularisée au cinéma (dans une voiture, un cinéma, sous la table, gratuitement, sans réciprocité...), j'ai pas d'animaux, mais j'y pense parfois.

Puis le score final c'est 3 à 0 pour moi contre les autres gars.

Faque.

Fille, parait que j'suis une affaire.... profites-en!

(Vous pouvez laisser vos numéros en commentaires)

lundi 27 février 2017

Ma date cisgenre d'hier


Elle est belle sur sa photo OkCupid.

Elle a un décolleté dodu. Comme tout son p'tit corps. Elle sourit. Elle a les cheveux rouge pis orange. Elle est pansexuelle qu'elle dit, queer aussi. Pis j'mouille comme. J'vais lui écrire la première.

«Allo! T'es formidable. J'ai adoré te lire. J'aimerais bien te rencontrer». Évidemment, j'ai attendu qu'elle soit online pour lui écrire, meh.

Elle répond dans la minute.

«Miaw» 
 


God. J'ai comme un ptit shake. C'est nice. Ca brûle dans l'ventre. J'réponds quoi? J'lui annonce maintenant que j'suis trans? En même temps elle dit être pansexuelle et queer, pis c'est bien écrit dans mes specs. Ça regarde plutôt bien. J'me lance.

- T'aimerais prendre un verre avec une petite personne comme moi?
- Ouais, j'aime les petites personnes comme toi 💚

Le cœur en ponctuation. Je crois que j'ai une date.

Blabla cute, t'es belle, toi aussi, schedules.

Brouhaha 20h demain.

Je lui dirai juste en fin de soirée que j'habite à 3min à pied et qu'mes draps sont propres.
Bisous de bonne nuit, encore t'es belle, miam, j'ai hâte à demain, j'ferme mon cell.

Lendemain matin.

J'regarde mon téléphone en m'réveillant. Checker son profil encore. J'vais peut-être me toucher légèrement.

Justement elle m'écrit.

- Bon matin 💚

Encore un cœur! Waw.

- Je me réveille à l'instant. Toi?
- Moi aussi!! 😉

Cool de savoir qu'elle fait pareil comme moi!

Je réponds rien. Je laisse ça comme ça jusqu'à à soir.

À job j'suis distraite. J'fais n'importe quoi pis j'arrête pas d'penser à elle. Pis à comment j'vais m'habiller, pis à si c'est juste trop de mettre mes dentelles, et si j'me fais des grosses wings ou pas. J'capote un peu du gender par contre, mais ça va dans l'ensemble. J'me dis qu'elle doit savoir pis toute.

19h

J'suis anxieuse as fuck. Mais maquillée, j'ai ça d'avance. Ça fait 50 fois que j'me change pour revenir au même kit noir, dessous rouges.

Trois Beau's depuis 16h.

J'ai soif encore pareil.

De bières pis d'elle genre.

Toudoudout:

- Hey au juste, je sais c'est awkward to ask, mais t'as-tu un vagin?

La question.

C'est tuff de la prendre objectivement cette ostie d'question.

-Pourquoi? C'est important?

Répondre par deux questions.

- LOL qu'elle écrit.

Ok. En tk.

20h30

J'suis arrivée en retard pour m'faire attendre mais semblerait qu'elle maîtrise encore mieux la technique.

20:45

Technique très au point, j'l'attends full là.

20:57 texte

- Ouin, tu sais j'ai pensé à ça, pis j'crois qu'on va laisser faire 😕

Le waiter vient me demander si je veux une autre Sang D'Lutin.

J'ai comme une hésitation...pis j'lui demande mon bill...

À l'appart ça sent le lavage.
Y'a pas beaucoup d'chars sur Rosemont à soir.
C'est tranquille.
Y'a toute ma disphorie qui me rattrape full.
Pis des tas de questions sur pourquoi elle m'a ditch.

Y'a décidément des trucs qui m'échappent.

J'ai fermé mon compte pour être safe. 
 
*
 
Texte gentiment offert par Mai Louve

dimanche 19 février 2017

Petits et gros plaisirs : lire dehors



Comme y’en a des petits, y’existe des gros plaisirs
Comme pour les pénis et les seins
Les petits plaisirs et pénis peuvent devenir gros
Les petits seins aussi, mais ça coûte plus cher
Sagesse populaire



Salut voisin!

Aujourd’hui y fait beau, parait-il! C’est sans doute pour ça que t’as décidé de t’attaquer à la glace devant chez nous à 8h ce matin. Je t’en veux pas du tout, il fallait que je me lève, mais quand même tu m’as réveillé. Juste pour que tu le saches.

Tu dois te demander pourquoi je t’écris aujourd’hui… non? Même pas un peu? Tu trouves pas bizarre que je t’écrive alors qu’on ne s’est pas encore parlé? Ah… Ok. Moi je trouve ça bizarre. Pi soudainement, parce que tu me fais sentir mal, je te juge pour ton trip de brise-glace de ce matin.

Bon, on est quittes.

Ce matin, j’ai pas vraiment eu l’occasion de regarder dehors. À peine tombé du lit, je me suis installé devant mon ordi et me suis mis à travailler. C’est plate comme ça. Ça arrive. C’est de ma faute, mais je n’entrerai pas dans ce sujet.

Heureusement, j’ai des gens qui me distraient en m’écrivant. C’est pas génial pour la productivité, mais c’est bon pour le moral. Bref, vers midi y’a une fille qui m’a dit qu’elle allait promener son chien vu qu’il faisait beau.

Là, j’ai jeté un œil dehors pi j’ai vu du soleil. Là, j’ai regardé la météo sur mon téléphone et ça m’a dit 7°. Là, j’ai lâché la job puis j’suis parti faire une grande marche. C’était une marche sans but, juste pour aller devant moi.

Une heure plus tard, j’étais revenu, mais j’avais encore envie d’être dehors. Mais il fallait que je travaille. Mais il aurait été si bon de boire une bière dehors. Mais j’avais ce livre que j’avais reçu cette semaine que je n’avais même pas encore ouvert et qui traînait dans mon salon. Mais il aurait vraiment fallu que je travaille. Mais c’était la première journée…

Je me suis servi une bière, j’ai enfilé mon manteau, j’ai été chercher le livre que j’ai reçu cette semaine et que j’avais même pas encore ouvert, je l’ai ouvert, je suis sorti, j’ai été lire sur le balcon avec une bière parce que c’était la première journée où je pouvais le faire cette année.

Et tu sais quoi cher voisin? T’es passé et tu m’as jugé. Tu m’as jugé comme les 234 personnes qui sont passées devant mon balcon pi qui m’ont vu les pieds sur la clôture, la bière à portée de main, en train de lire un livre comique qui me faisait rire à haute voix.

Je vais te dire une chose voisin : fuck you.

Pi j’sais même pas si t’es mon voisin. Pi j’sais pas si c’est toi qui faisais du bruit ce matin en cassant de la glace. Ce que je sais, c’est que c’est plus facile de t’écrire une vacherie qu’à un parfait inconnu.

Faque si c’était pas toi voisin, je m’excuse pour la merde de chien dans ta boîte aux lettres.

J’ai peut-être réagi un peu fort, mais j’avais une bonne raison.

Lire dehors, c’est à peu près la plus belle chose au monde (juste après voir un éperlan se faire dorer au soleil en chantant les plus grands succès de Perry Como). Lire en marchant est encore difficile avec les restants de l’hiver qui traînent sur les trottoirs, mais lire sur mon balcon… tu peux pas t’imaginer à quel point j’aime ça.

Ok, tu peux peut-être t’imaginer.

Mais là je vais rentrer parce que je viens de t’entendre prendre ton courrier et sacrer….