lundi 23 mars 2020

Hélène en quarantaine - 137

Hier je n'ai pas pu écrire, je n'ai pas eu le temps. Au petit matin, avant le lever du soleil, un coup de feu nous a réveillés.

On pense que c'était un coupe de feu. Un claquement, comme celui d'un fouet, sans le sifflement.
Puis, les cris qui sont venus après étaient un indice non négligeable.

Qu'est-ce qui s'est passé? Est-ce que c'est une expédition nocturne d'aventureux comme moi, qui essaye de trouver des choses utiles pour survivre? Est-ce que c'est des criminels qui profitent de la situation? C'est ce que c'est EUX qui commencent à perdre patience?

Ce n'était pas un pneu qui éclate. Ça, j'en suis certain.

Ce qui fait qu'au matin Hélène m'a souligné qu'on était au rez-de-chaussée et que pas grand-chose ne nous protégeait de la rue.

C'est con, jusqu'ici je n'y avais pas pensé.

Jusqu'ici je ne m'étais pas vraiment soucié de notre sécurité, j'étais simplement en mode survie.

Première chose : les fenêtres. On ne voulait pas les barricader, c'était notre seule source de lumière, mais en même temps ce n'était que du verre qui nous séparait de l'extérieur. Le jour, je ne me souciais pas vraiment de ce qui pourrait arriver. Pas pour l'instant. On est là, on est éveillés et personne n'oserait faire du bruit et attirer l'attention. Mais la nuit...

On a quelques outils, mais on n'est pas équipés pour faire énormément de choses et puis nous n'avons pas de matériaux. Ce n’est pas comme si j'étais bien manuel avant tout ça. Je me débrouille depuis, mais avec les moyens du bord, sans instructions, sans vidéos en ligne pour m'éclairer.

C'est étrange de tout réinventer.

J'ai pensé à des volets. Pas à l'extérieur, parce qu'il faudrait sortir pour les installer, mais à l'intérieur. Des volets, c'est assez simple : une planche, des pentures, un crochet.

On n'avait rien de tout ça. Ou du moins, rien qui ne servait pas. Hélène m'a fait réaliser qu'on avait des portes à l'intérieur. Des portes qui ne servaient à rien, puisqu'on laissait toujours tout ouvert. Des portes qui pouvaient devenir des volets.

Nous les avons décrochées et avons été chanceux : la largeur de celles-ci était la même que celle de nos fenêtres. Ça nous a pris la journée à installer. Il a fallu déplacer quelques meubles pour avoir l'espace pour les ouvrir et fermer, mais là on était enfin protégés pour la nuit.

Hélène a fabriqué des crochets de fortune avec de vieux cintres en métal.

Ce n'est pas beau, mais ça devrait tenir ou du moins décourager ceux qui seraient tentés de nous envahir.

Pour la porte d'entrée, on a fait simple : une grande planche prise d'une bibliothèque, posée de travers sur 2 supports de bois de fortune. Une serrure médiévale.

Quand on a terminé, c'était déjà l'heure de fermer les volets.

Cette nuit, on a entendu des cris, encore. Pas de coup de feu, mais des cris.

Hélène a dormi comme un enfant.

Elle a même ronflé.

dimanche 22 mars 2020

Hélène en quarantaine - 135


Une bombe nucléaire est tombée dans le silence: Hélène m'a demandé si je voulais faire un enfant.

Si le monde est pour se terminer, pourquoi pas? Il faudra bien repeupler le monde après cette apocalypse. Et puis, un enfant, ça occupe.

Je n'ai rien dit : j'ai souri.

Parce qu'il faut sourire devant l'inconnu.

Et puis, parce que j'aime Hélène.

Je ne sais pas comment on va faire. L'argent... n'existe plus. Les soins de santé... je n'ai pas la moindre idée comment ça peut fonctionner. Est-ce que les hôpitaux sont encore ouverts? Est-ce qu'on pourra avoir un suivi de grossesse? Dans quelles conditions pourra-t-elle accoucher?

Autant je suis heureux, autant je m'inquiète. 

Et il faudra faire l'amour. C'est quoi la sensation quand on fait l'amour en sachant qu'il y a une résultante bien réelle? C'est quoi faire l'amour comme il y a 100 ans? C'est quoi faire l'amour quand on sait qu'on le fait potentiellement à 3?

J'ai la chienne de ma vie et ça fait du bien d'avoir peur de quelque chose que je sais.

À tout hasard, j'ai interdit à Hélène de penser brûler le dictionnaire. D'autres livres y sont passés (il faut bien alimenter le feu), mais pas celui-ci. Faudra l'éduquer ce marmot. Faudra lui apprendre des choses et on n'a pas vraiment de matériel didactique sous la main.

Faudra réinventer la pédagogie, les travaux, le programme scolaire, les activités parascolaires, faire des couches lavables, faire sans gardiennage (on y irait où de toute façon?!), deviner ce qu'il faut faire avec un enfant qui a des coliques (je ne sais même pas c'est quoi des coliques), deviner comment le nourrir à chaque moment de sa croissance, lui fabriquer des vêtements...

Oh merde.

Je l'aime Hélène.

Une chance.

samedi 21 mars 2020

Hélène en quarantaine - 132


Hier, avec les rations ils nous ont laissé un petit feuillet avec des recettes. J'étais tout excité quand j'ai vu qu'il nous montrait comment faire du pain (sans levure, à partir de levain). Puis, j'ai vu qu'il fallait préchauffer le four...

Je n'ai pas la moindre idée comment faire du pain sur un feu de fortune. On essaye de ne pas l'allumer trop souvent, parce que l'odeur de fumée reste dans l'appartement et que j'ai un peu peur qu'on suffoque. Sans parler du danger d'incendie. Je ne sais même pas s'il y a encore des pompiers.
*

Hélène a pris du mieux depuis deux jours. Comme ça, sans raison apparente. On a joué au frisbee dans le corridor avec des vieux CDs qui ne nous servent pas de toute façon. Elle voulait qu'on utilise des vieux vinyles, mais j'ai encore espoir de transformer la table tournante pour qu'elle fonctionne mécaniquement. Si les vieux gramophones le faisaient, ça doit être possible.

On s'est bien amusés.

*

Je regrette de ne pas avoir investi dans une bonne encyclopédie papier du temps que ça existait. Il y a plein de choses que j'aimerais savoir aujourd'hui, que j'aimerais faire et c'est l'accès à la connaissance qu'il me manque. J'étais trop sûr qu'Internet serait là pour toujours.

Mon esprit est décousu. Je pense à 1001 choses en même temps. Hélène me dit que je dois apprendre à faire avec, à me calmer, à me concentrer sur le moment présent et oublier le reste.

C'est drôle comme on s'échange les rôles. Un jour elle ne va pas et c'est moi qui en prends soin. Le lendemain c'est elle qui me garde la tête hors de l'eau.

*

Sans trop savoir pourquoi, je me suis mis à me poser mille questions depuis hier. Qu'est-ce qui a bien pu se passer? Est-ce qu'il y a une fin en vue? Comment se porte l'humanité? Est-ce qu'on nous a caché des choses? Est-ce que c'est encore un gouvernement qui contrôle le pays? Est-ce que c'est le même que lors des dernières élections? Est-ce que c'est légal cette façon de nous confiner à la maison?

*

J'ai surpris Hélène accroupie dans un garde-robe. Je ne savais pas quoi faire, alors je m'y suis installé aussi. J'ai refermé la porte. On est restés dans le noir un moment. Je me souviens d'avoir fait ça quand j'étais enfant. Y'a quelque chose de rassurant et d'horrifiant à être confiné dans un plus petit espace que l'appartement. L'obscurité fait du bien. On entend mieux la respiration de l'autre.

Après un moment, elle s'est déplacée pour se coller contre moi. Nous avons dormi un moment. Je n'avais pas eu aussi chaud d'elle depuis un temps. Ça fait du bien.

*

Hélène ne sait pas cuisine. Enfin, elle ne SAIT pas cuisiner. Elle cuisine, comme n'importe qui, mais ce n'est pas une grande cuisinière. Ça ne l'a pas arrêtée d'essayer toutes les recettes qui nous sont venues avec les rations.

Toutes, même le pain. Elle l'a fait dans une cocotte fermée qu'on a mise sur les braises vacillantes après avoir bouilli de l'eau pour le thé.

Deux heures sur les braises, jusqu'à ce qu'elles soient froides.

Quand elle a démoulé le pain sur la desserte, la fierté pouvait se lire sur son visage. Elle avait fait du pain. ELLE. Du pain.

Nous l'avons mangé en une demi-heure. Comme des ogres.

Il était infect.

vendredi 20 mars 2020

Hélène en quarantaine - 130

Au début, ça n'était que des rumeurs, démenties aussitôt. Puis, les médias on commencé à couvrir la chose sérieusement, tout en minimisant l'impact. Finalement, tout a déboulé. Du jour au lendemain, c'était la crise, c'était le scénario catastrophe, c'était... puis le silence.

Plus de journaux, plus d'internet, plus d'électricité. Personne ne sait ce qui est arrivé. Je dis ça, mais il doit y avoir des gens, mais ils n'ont simplement plus les moyens de le communiquer. Évidemment, quand tout s'est éteint, tout le monde est sorti dehors pour voir si quelqu'un avait de la lumière, de la chaleur...

Ça n'a pris que quelques heures avant qu'ils se mettent à passer dans les rues avec leur message en boucle gueulé par des haut-parleurs.

Restez chez vous, ne sortez pas, la situation est sous contrôle, d'autres instructions suivront.

Les instructions sont venues : restez chez vous, ne paniquez pas, de la nourriture vous sera livrée.

Quelques semaines plus tard, c'est devenu : ne sortez sous aucun prétexte, toute personne surprise dehors sera immédiatement arrêtée.

Alors, ça fait 130 jours qu'on est à la maison.

Hier, on a eu droit à notre sortie. 10 minutes. Il pleuvait des cordes. On est sortis quand même, Hélène et moi, parce que quelques soient les conditions, c'est mieux que de rester à l'intérieur. On s'est assis sur le balcon - on n'a pas le droit d'aller plus loin - et on s'est allumé une cigarette à deux. Notre consommation est d'une demi-cigarette chacun par semaine. Je ne crois pas que c'est ça qui va nous tuer.

On a passé les 10 minutes en silence, à se regarder et fumer. C'est drôle qu'on se soit regardé, c'est tout ce qu'on a à faire à l'intérieur et c'est la seule chose que nous voulions faire à l'extérieur.

Quand nous avons eu l'indication de rentrer, Hélène n'a rien voulu savoir.

- Je reste, qu'elle a dit d'une voix mi-résignée, mi-terrorisée.

Ils ont vite compris ce qui se passait et ils ont lancé un avertissement.

- Allez viens, sinon ils vont t'embarquer.
- Qu'ils m'embarquent, ça ne peut pas être pire.
- On ne sait pas Hélène... on ne sait pas.

Elle m'a regardé une dernière fois, avec un regard parsemé de haine, de ressentiment. Elle m'en voulait, mais elle est rentrée. Derrière la fenêtre, je les ai vu passer à la maison suivante.

Hélène ne lit plus le dictionnaire. Elle ne fait plus rien en fait. Elle reste là, assise devant la fenêtre, le regard vide. C'est à peine si elle mange. Du matin au soir.

C'est le silence qui est le pire. Pire que de l'entendre réciter le dictionnaire. Avant, on avait les bruits de la ville, les oiseaux dehors, les machines de la maison qui vrombissaient le chant du confort matériel.

Là, rien. Hélène ne lit plus.

Et ça fait un moment que je n'ai pas entendu un oiseau.

jeudi 19 mars 2020

Hélène en quarantaine - 126

Voilà 4 mois que nous sommes à la maison. Et ça fait 3 jours que nous n'avons pas eu notre tour. 3 jours. Une éternité.

Le moindre recoin de notre appartement est immaculé. Nettoyé, poli, impeccable. L'appartement est scellé et dégage une odeur de vinaigre blanc. Il n'y a plus rien à faire. Plus vraiment. Pour passer le temps, Hélène lit le dictionnaire à voix haute. C'est le pire des sons, mais faute de musique ça meuble l'air.

Il y a un an, je vous aurais dit que vivre sans électricité, que vivre sans liberté était impossible. Voilà six mois que ça dure, 126 jours que nous sommes interdits de sortie, 3 jours que nous n'avons pas eu le droit de prendre l'air.

Les rations nous sont distribuées une fois par semaine. Il y a trois coups à la porte et nous n'avons pas le droit d'ouvrir avant 5 minutes. Avant qu'ils soient plus loin.

Toujours la même chose : de la farine, de l'eau, de l'huile, un fruit, un légume, une protéine. Jamais de viande. Rien de vraiment périssable. Sans électricité c'est un peu plus difficile de cuisiner un festin, mais on se débrouille.

On a aménagé un petit coin pour faire un feu dans le sous-sol, sur le béton, près d'une fenêtre pour évacuer la fumée. 

Parfois la nuit je sors pour faire les vidanges. Les gens continuent à jeter des trucs. Moi je ramasse, je répare, je bidouille, je trouve de nouvelles utilités. Lorsque je suis chanceux, je trouve des restants de bouffe.

Je prends tout. 

Si j'étais pris, ils m'emmèneraient avec les autres. Personne ne sait vraiment où ou pour combien de temps. Je fais attention.

Il y a un bac dans le fond du sous-sol, sous une autre fenêtre, ou tout fermente. Les restes de table, les restants de bouffe trouvés et ce qu'on récupère d'eau lorsqu'il pleut. 

L'odeur est infecte, mais je crois que j'ai trouvé le moyen de distiller tout ça. Pour l'instant ce serait sans doute toxique de nous y risquer, mais lorsque ce sera de l'alcool pur... ce ne sera peut-être pas bon, mais ça nous aidera à oublier. Et puis, si on se blesse, on pourra désinfecter. 

On avait une tonne de carton au sous-sol, avant tout ça. On l'a déchiquetée avec ce qu'on avait sous la main : couteaux, bouts de métal, ciseaux... et on a fait macérer. Après 3 jours, les fibres commencent à fermenter et on peut en extraire une pulpe assez fine pour être étalée sur un vieux moustiquaire. Ça sèche et ça devient du papier. Pour l'encre, on utilise de la suie et de l'huile. C'est pas ce qu'il y a de plus stable, ni de plus facile à utiliser, mais j'arrive à écrire.

Ça me manquait. Et le temps ne manquait pas. Alors on s'est donné le moyen de consigner tout ça.
Heureusement c'est l'été. Il fait chaud. Je ne sais pas comment on va passer l'hiver s'il faut se rendre jusque là. Il fait parfois trop chaud, mais quand il le faut : on se promène à poil. Y'a personne pour nous voir de toute façon, même les rideaux ouverts. Il n'y a personne dans les rues. Sauf pour les rations et les sorties. Et ça fait 3 jours qu'on ne nous a pas donné le droit de sortir.

Hélène en est au « S ». C'est le bout que je préfère. Sa voix, sa façon de tourner ces syllabes... c'est bon. C'est sans doute la seule partie du dictionnaire que je suis encore capable d'écouter. 

Et elle s'arrête. Il n'y a plus vraiment de lumière. J'écrivais devant la fenêtre, je ne me suis pas rendu compte que c'était de plus en plus difficile.

Je recommencerai demain.

127...