vendredi 20 mars 2020

Hélène en quarantaine - 130

Au début, ça n'était que des rumeurs, démenties aussitôt. Puis, les médias on commencé à couvrir la chose sérieusement, tout en minimisant l'impact. Finalement, tout a déboulé. Du jour au lendemain, c'était la crise, c'était le scénario catastrophe, c'était... puis le silence.

Plus de journaux, plus d'internet, plus d'électricité. Personne ne sait ce qui est arrivé. Je dis ça, mais il doit y avoir des gens, mais ils n'ont simplement plus les moyens de le communiquer. Évidemment, quand tout s'est éteint, tout le monde est sorti dehors pour voir si quelqu'un avait de la lumière, de la chaleur...

Ça n'a pris que quelques heures avant qu'ils se mettent à passer dans les rues avec leur message en boucle gueulé par des haut-parleurs.

Restez chez vous, ne sortez pas, la situation est sous contrôle, d'autres instructions suivront.

Les instructions sont venues : restez chez vous, ne paniquez pas, de la nourriture vous sera livrée.

Quelques semaines plus tard, c'est devenu : ne sortez sous aucun prétexte, toute personne surprise dehors sera immédiatement arrêtée.

Alors, ça fait 130 jours qu'on est à la maison.

Hier, on a eu droit à notre sortie. 10 minutes. Il pleuvait des cordes. On est sortis quand même, Hélène et moi, parce que quelques soient les conditions, c'est mieux que de rester à l'intérieur. On s'est assis sur le balcon - on n'a pas le droit d'aller plus loin - et on s'est allumé une cigarette à deux. Notre consommation est d'une demi-cigarette chacun par semaine. Je ne crois pas que c'est ça qui va nous tuer.

On a passé les 10 minutes en silence, à se regarder et fumer. C'est drôle qu'on se soit regardé, c'est tout ce qu'on a à faire à l'intérieur et c'est la seule chose que nous voulions faire à l'extérieur.

Quand nous avons eu l'indication de rentrer, Hélène n'a rien voulu savoir.

- Je reste, qu'elle a dit d'une voix mi-résignée, mi-terrorisée.

Ils ont vite compris ce qui se passait et ils ont lancé un avertissement.

- Allez viens, sinon ils vont t'embarquer.
- Qu'ils m'embarquent, ça ne peut pas être pire.
- On ne sait pas Hélène... on ne sait pas.

Elle m'a regardé une dernière fois, avec un regard parsemé de haine, de ressentiment. Elle m'en voulait, mais elle est rentrée. Derrière la fenêtre, je les ai vu passer à la maison suivante.

Hélène ne lit plus le dictionnaire. Elle ne fait plus rien en fait. Elle reste là, assise devant la fenêtre, le regard vide. C'est à peine si elle mange. Du matin au soir.

C'est le silence qui est le pire. Pire que de l'entendre réciter le dictionnaire. Avant, on avait les bruits de la ville, les oiseaux dehors, les machines de la maison qui vrombissaient le chant du confort matériel.

Là, rien. Hélène ne lit plus.

Et ça fait un moment que je n'ai pas entendu un oiseau.

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