jeudi 19 mars 2020

Hélène en quarantaine - 126

Voilà 4 mois que nous sommes à la maison. Et ça fait 3 jours que nous n'avons pas eu notre tour. 3 jours. Une éternité.

Le moindre recoin de notre appartement est immaculé. Nettoyé, poli, impeccable. L'appartement est scellé et dégage une odeur de vinaigre blanc. Il n'y a plus rien à faire. Plus vraiment. Pour passer le temps, Hélène lit le dictionnaire à voix haute. C'est le pire des sons, mais faute de musique ça meuble l'air.

Il y a un an, je vous aurais dit que vivre sans électricité, que vivre sans liberté était impossible. Voilà six mois que ça dure, 126 jours que nous sommes interdits de sortie, 3 jours que nous n'avons pas eu le droit de prendre l'air.

Les rations nous sont distribuées une fois par semaine. Il y a trois coups à la porte et nous n'avons pas le droit d'ouvrir avant 5 minutes. Avant qu'ils soient plus loin.

Toujours la même chose : de la farine, de l'eau, de l'huile, un fruit, un légume, une protéine. Jamais de viande. Rien de vraiment périssable. Sans électricité c'est un peu plus difficile de cuisiner un festin, mais on se débrouille.

On a aménagé un petit coin pour faire un feu dans le sous-sol, sur le béton, près d'une fenêtre pour évacuer la fumée. 

Parfois la nuit je sors pour faire les vidanges. Les gens continuent à jeter des trucs. Moi je ramasse, je répare, je bidouille, je trouve de nouvelles utilités. Lorsque je suis chanceux, je trouve des restants de bouffe.

Je prends tout. 

Si j'étais pris, ils m'emmèneraient avec les autres. Personne ne sait vraiment où ou pour combien de temps. Je fais attention.

Il y a un bac dans le fond du sous-sol, sous une autre fenêtre, ou tout fermente. Les restes de table, les restants de bouffe trouvés et ce qu'on récupère d'eau lorsqu'il pleut. 

L'odeur est infecte, mais je crois que j'ai trouvé le moyen de distiller tout ça. Pour l'instant ce serait sans doute toxique de nous y risquer, mais lorsque ce sera de l'alcool pur... ce ne sera peut-être pas bon, mais ça nous aidera à oublier. Et puis, si on se blesse, on pourra désinfecter. 

On avait une tonne de carton au sous-sol, avant tout ça. On l'a déchiquetée avec ce qu'on avait sous la main : couteaux, bouts de métal, ciseaux... et on a fait macérer. Après 3 jours, les fibres commencent à fermenter et on peut en extraire une pulpe assez fine pour être étalée sur un vieux moustiquaire. Ça sèche et ça devient du papier. Pour l'encre, on utilise de la suie et de l'huile. C'est pas ce qu'il y a de plus stable, ni de plus facile à utiliser, mais j'arrive à écrire.

Ça me manquait. Et le temps ne manquait pas. Alors on s'est donné le moyen de consigner tout ça.
Heureusement c'est l'été. Il fait chaud. Je ne sais pas comment on va passer l'hiver s'il faut se rendre jusque là. Il fait parfois trop chaud, mais quand il le faut : on se promène à poil. Y'a personne pour nous voir de toute façon, même les rideaux ouverts. Il n'y a personne dans les rues. Sauf pour les rations et les sorties. Et ça fait 3 jours qu'on ne nous a pas donné le droit de sortir.

Hélène en est au « S ». C'est le bout que je préfère. Sa voix, sa façon de tourner ces syllabes... c'est bon. C'est sans doute la seule partie du dictionnaire que je suis encore capable d'écouter. 

Et elle s'arrête. Il n'y a plus vraiment de lumière. J'écrivais devant la fenêtre, je ne me suis pas rendu compte que c'était de plus en plus difficile.

Je recommencerai demain.

127...

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