dimanche 29 janvier 2017

La vie après l'amor

Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour
La Mort qui nous attend et l’amour qu’on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
Ne chantez pas la mort, Ferré

On m'a posé une main sur l'épaule et m’a dit que c’était fini. Je les ai crus sur parole. La machine, d’une tonalité soutenue, tentait de me dire la même chose depuis deux bonnes minutes. J’aurais pu rester, abaisser ses paupières, y poser mes lèvres, pleurer et mouiller son visage, mais je n’en avais pas la force. J’avais autre chose à faire.

Je n’ai pas voulu rester lorsque Charlotte s’est éteinte. Je me suis aussitôt levé et me suis dirigé vers les ascenseurs. Un médecin a tenté de me retenir, m’a attrapé par le bras, sans succès. Je ne voulais rien entendre. Quelqu’un allait bien pouvoir prendre le relais. Quelqu'un allait devoir s'occuper des funérailles, de ses dernières volontés, mais ça ne pouvait être moi.

Je suis sorti de l’hôpital et me suis allumé une cigarette. J'ai humé l’air du printemps, senti la chaleur du soleil sur mon visage, regardé un bourgeon tentant une sortie précipitée. Puis, j’ai traversé la rue pour me rendre à ma voiture, en ai ouvert le coffre et, à l’aide d’un .45 acheté la veille, me suis fait éclater la cervelle sans attendre. Ça peut vous sembler étrange, mais il y avait urgence.

Je n’ai jamais cru au Paradis ou à l’Enfer: ça ne m’a jamais semblé logique. Par contre, j’ai toujours cru qu’il pouvait y avoir quelque chose après la mort. Un quelque chose que je ne pouvais cerner sans y goûter moi-même. Risqué comme idée, bien sûr, mais tout à fait logique.

Cette logique est basée sur le fait que notre corps est parcouru par des microdécharges électriques à tout moment et que notre cerveau, siège de la personnalité, est en fait une grille de distribution électrique. Et puisqu’en physique rien ne se perd et rien ne se crée, j’en suis venu à la conclusion en combinant ces deux éléments qu’il devait logiquement y avoir quelque chose après la mort. Dans le pire des cas, une redistribution d’énergie à l’échelle cosmique, dans le meilleur : quelque chose d’autre.

Mais voilà, j’étais tout faux.

Une fraction de seconde après m’être fait sauter la cervelle, je me suis retrouvé dans cette pièce blanche sans meubles. Il n’y avait pas de porte, qu’une fenêtre, et par celle-ci je pouvais voir le plus merveilleux des spectacles : Charlotte. 

Elle dansait, vêtue d’une robe légère, souriait, chantait, riait. Tantôt elle était entourée d’enfants, tantôt d’amis disparus ou de ses parents. Un moment elle dansait, cueillait des fleurs, le moment suivant elle festoyait, buvait, montait à cheval. La vue que m’offrait cette fenêtre tenait davantage du film de famille que d’une réalité logique quelconque. Il ne semblait y avoir aucun lien entre les scènes qui défilaient devant moi autre que Charlotte. Tout n’était qu’elle.

Il m’a fallu un moment avant de détourner les yeux de ce spectacle et ce ne fut que pour m’essuyer les yeux. Je pleurais. Ainsi, il y avait des pleurs après la mort. J’étais si heureux de la retrouver comme je l’avais aimée : vivante, joyeuse, rayonnante. Et puis, j'avais raison : il y avait quelque chose après la mort et c’était exactement ce que j’avais imaginé, souhaité. Je la retrouvais.

Après un moment, je ne sais pas pourquoi j’ai attendu, j’ai voulu ouvrir la fenêtre pour la retrouver. Impossible. J'ai voulu casser la vitre, quitte à me couper, mais je n'ai pu qu’entendre le choc sourd de mon coude contre celle-ci. Je n’avais pas mal. J’essayai avec mon poing, ma tête, mes pieds, mais rien n’y faisait.

J'étais triste, bien sûr, mais qu’importe la liberté: je pouvais la voir être heureuse et je cru être en mesure d’accepter de m’y limiter. J’avais tort.

Le temps, cette chose que l’on tient pour acquise lorsqu’on est vivant, devient une absurdité dans la mort. Il n’y a plus de planètes, plus de rotation, plus de nuits, plus de jours, plus d’heures au cadran d’une montre, rien que l’attente. Je ne ressentais plus le besoin de manger, de boire, de dormir, mais seulement celui de sortir. Je voulais la rejoindre.

Le film décousu qui m’avait été offert au premier regard devint de plus en plus clair, réaliste, cohérent. Je la vis redéfinir un quotidien dans une ville bien réelle. Je la voyais se lever, prendre des repas, rencontrer des gens que je ne connaissais pas, faire des activités qu’elle n’avait jamais faites. Son sourire était permanent, sans faille, accroché bien haut et n’en démordait pas.

Puis, elle rencontra quelqu’un. Je la connaissais par cœur, alors ce ne fut pas difficile de deviner qu’il lui plaisait, qu’elle répondait positivement à ses attentions. Bien vite, bienheureux ils passèrent juste sous ma fenêtre, se tenant par la main. J’eus beau crier, hurler, si leurs moindres soupirs se rendaient jusqu’à moi, les miens s'éteignaient à la fenêtre.

Leur intimité m’était épargnée, heureusement. J’avais droit aux baisers, aux accolades, aux mots doux, mais ils étaient vêtus. Peut-être était-ce encore pire de l’imaginer que de le voir. Lorsque je fermais les yeux, pour ne plus les regarder, c’était les seules images qui me venaient, dans leur plus grande cruauté.

Elle ne vieillissait pas, restait la même. Lui embellissait. Je dus les regarder avoir des enfants, les élever. Je dus regarder ceux-ci grandir, prodiguer mille joies à celle que j’avais aimé et qui semblait m’avoir complètement oublié. C’était tout à fait logique, encore une fois, aucun bonheur ne peut être parfait s’il subsiste des regrets, des remords, des souvenirs tendres qui ne sont plus, qui ne seront jamais. Pour qu’elle soit heureuse, je ne devais plus exister.

Je vis ce cirque recommencer. Avec un autre homme, puis un autre, puis d’autres enfants, puis d’autres joies sans cesse renouvelées. Je ne pus jamais que faire une chose : la regarder exister.

J’avais tout faux.

Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre : elle était morte de maladie, j’étais mort de suicide. J’en bavais de savoir qu’ils avaient raison, qu’il y avait bien un Paradis et un Enfer.

Qu’elle était au Paradis et qu’elle était à la fois, de ma fenêtre, mon Enfer.

*La version originale de cette nouvelle a été publiée le 25 septembre 2011. Elle a été partiellement revue et réécrite pour cette nouvelle publication.

2 commentaires:

  1. Anonyme11:10 a.m.

    Est-ce qu'il faut être triste, pour écrire une si belle nouvelle?

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    1. Pas de tristesse. En fait j'ai écrit cette nouvelle dans un beau moment.

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