vendredi 27 janvier 2017

Un trottoir la nuit et de la musique





La neige craque sous mes pas. Une fille passe, trop pressée, tout près de moi. Son passage lève quelques flocons qui tombent aussitôt. Ses pas craquent aussi sur la neige. Nos pas ensemble, c'est comme une symphonie improvisée pour percussions mixtes. C'est une belle musique. J'arrête, je ferme les yeux. Un instant, sans plus.

Je les rouvre et les lève : elle court pour attraper un bus. Les feux ne sont pas pour elle. Les voitures l'évitent. Voilà, elle y est. Elle l'a attrapé. Il part, avec elle. Quel salaud.

Quelques secondes et il s'est perdu sous le nuage de la neige qui tombe. Qui était-elle? Est-ce que j'aurais pu l'aimer? Est-elle amoureuse? Est-elle heureuse? Aime-t-elle marcher la nuit, sur le trottoir, sous la neige?

Brassens se met à me chanter dans mes oreilles « Les passantes ». J'écoute cette musique qui tombe à point. Je m'arrête, grille une clope. Un réverbère me regarde d'une lumière triste et jaune. Je le regarde à mon tour et lui crache à la gueule.

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, à comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main




Je reprends mon chemin. Je marche au hasard des rues, des feux de signalisation qui me disent «tourne ici, tourne là». Un rappel de modernité vibre dans ma poche. Je regarde cet écran qui illumine le soir. Juste au cas où on penserait à moi, mais non : une illusion. Je suis seul, ce soir, sous la neige.

Il neige, mais c'est pourtant Nougaro et « La pluie fait des claquettes » qui enchaîne.

À force de rasades,
De tournées des grands-ducs,
Je flotte en nos gambades,
La pluie perd tout son suc
« Quittons-nous dis-je, c’est l’heure
Et voici mon îlot
Salut pourquoi tu pleures ?
- Parce que je t’aime salaud. »




Je pleure, c'est le vent. J'aime me mentir. J'ai le coeur en miette. Je ne veux pas savoir pourquoi. Parce qu'il fait nuit et la nuit je mens.

J'ai dans les bottes des montagnes de questions
Où subsiste encore ton écho
Où subsiste encore ton écho




Je déambule, je marche, je fabule. J'imagine des mondes différents. Des mondes imaginaires. Des mondes où je ne serais pas derrière un clavier. Des mondes où ce serait différent. Des mondes où la lumière ne serait pas blafarde. Il fait froid. J'ai froid. Je suis bien. Ici, je devrais tourner à droite.

Je continue. À ma gauche, il y a une fille. Quelque part à gauche. Je sais qu'elle se cache quelque part par là. Devant moi, il n'y a rien. Je continue vers rien.

Mes cuisses me font mal, j'enfile mes gants. Mes doigts reviennent à la vie, mais je les dénude de nouveau pour m'allumer une autre cigarette. Quelque part, sous un porche, sous un balcon enseveli sous la neige il y a un feu, une passion qui n'attend que le printemps.

Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps-là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude




Ma marche me mène où je devais aller. Je suis en manque de houblon, de saveur, d'ivresse. J'ai envie de boire. Pas de boire pour apprécier, juste pour boire. J'y suis, oui, là, à deux pas d'être ailleurs. À deux pas d'une image qui est de plus en plus floue, de plus en plus fugace sous les projecteurs que sont les arbres qui luisent sous la lumière sélénite.

Ce sera 17 et 26. Elle me dit ça comme s'il y avait un coût réel. Comme si je ne m'en foutais pas. Comme si l'amour du silence ne pouvait s'acheter en quatre canettes. Je lui souris et lui tend du plastique. Elle s'en fout et elle fait bien. Pour travailler un soir d'amour comme celui-ci, elle doit être à un lieu où je ne veux pas être dans ma vie. Du coup, je lui souris. Elle aura au moins un sourire ce soir.

L'ivresse est aseptisée, encapsulée dans un contenant stérile. Je la porte sous le bras en revenant chez moi, comme un porte un cercueil quand on a la mort de l'âme à subir et effleurer, porter sous la brise, porter sur la neige, faire glisser sur des glaces d'un hiver du cœur qui n'en finit pas de ne pas finir.

Je rentre chez moi et c'est le silence. La nuit s'est invitée.

«Pschitt» fait la bière qui aussitôt coule dans mon verre. Ses sœurs n'iront pas au froid. Elles n'auront pas le temps de se réchauffer. Venez, petites. Venez.

J'ai soif.
Je bois...
Aux femmes qui ne m'ont pas aimé,
Aux enfants que je n'ai pas eus
Mais à toi qui m'a bien voulu,
Mais à toi qui m'a bien voulu.




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