samedi 18 février 2017

Une ville, la nuit, et quelques conneries


Raphaëlle devait être accompagnée. Je n’avais rien d’autre à faire, mais ça ne voulait pas dire que j’acceptais son invitation pour autant.

Elle était certes très belle, mais tout à fait improbable. Les rares qui pouvaient espérer l'approcher devaient être célèbres, poser pour les magazines, êtres riches ou toutes ces réponses combinées. J’étais de ceux qui ne pouvaient changer de valeur à ses yeux : j’étais un ami, rien de plus. Accepter son invitation, c'était donc volontairement perdre ma soirée à jouer les parures humaines. Ça ne me disait trop rien.

Il a fallu qu'elle me dise que le bar était ouvert pour que j'accepte. Pourquoi ne pas l'avoir mentionné plus tôt? J'ai ajouté qu'elle était une bonne amie, pour la forme, pour ne pas être un alcoolique fini.

Je me suis donc retrouvé quelques heures plus tard au milieu de ces hommes d’affaires, de ces artistes plus ou moins connus, de ces journalistes, de ces beautés qui ne sortent que la nuit.

Je n'avais pas envie de faire semblant de faire partie de leur monde. Évidemment, j'avais perdu Raphaëlle dès notre sortie de l’ascenseur. Sauf erreur, elle s'était enfermée peu après dans le vestiaire avec un gars. À voir sa cravate, il devait être marié. Elle a toujours eu un faible pour les mauvais garçons, idéalement riches et mariés.

J'étais donc seul, debout au fond d’une salle de réception, à attendre comme un con que les discours s’achèvent et que l'on annonce l'ouverture du bar. On distribuait bien du vin sur de grands plateaux, mais il était trop chaud et surtout trop vineux. Je n'affectionne pas particulièrement le vin anonyme.

Quelqu’un a eu droit à une ovation, un prix a été remis, un dernier discours prononcé, puis le maître de cérémonie nous a invité à passer au bar. Enfin. J'étais déjà à proximité, n'attendait que mon heure.

Je ne fais pas dans la dentelle dans ces évènements, surtout quand c'est Raphaëlle qui m'y traine. Ses relations ont de l'argent et moi j'ai soif. Il ne m'a donc suffi que de dix secondes pour remarquer une bouteille en retrait, un single malt 18 ans. J'ai demandé un double, on m'a servi un triple. D’une lampée je l'ai ramené à un simple et j'ai commandé une bière aussitôt pour l’accompagner. Il ne me restait plus qu’à trouver un fauteuil pour m'y fondre et m’effacer.

Faute de fauteuil, j'ai fini par trouver une chaise, derrière un rideau, et l’ai installée devant la fenêtre. Montréal est là-bas, bien plus bas, avec ses lumières de la nuit, ses voitures égarées, ses passants parsemés. Je me suis perdu dans la poésie urbaine et j'ai bu.




- Pardon, vous n’êtes pas…

Une femme dans une robe de soirée rouge, trop moulante pour être décente, s’est adressée à moi, me prenant pour un autre.

- Non, malheureusement, mais je crois que vous pouvez le trouver du côté du vestiaire.

Au lieu de s’éloigner, elle est venue s’appuyer contre la fenêtre. Je n’aurais pas osé. J’ai toujours peur qu’un incompétent ait fait une gaffe en posant ces trucs et de m’apercevoir de l’erreur en caressant le trottoir quelques dizaines d’étages plus bas.

- Vous buvez quoi?

- Une bière, un scotch… vous savez, je ne suis pas la personne la plus bavarde…

- Moi, la nuit m’inspire. Je trouve la vue très romantique.

- Pour le romantisme, il faut du sentiment. Ce n’est pas que vous n’êtes pas belle, mais je ne fais pas dans le sentiment. Du moins, pas ce soir.

- Vous êtes venu seul?

- Pas vraiment, mais oui.

- C'est-à-dire?

- C'est-à-dire que j’accompagnais quelqu’un qui est maintenant avec un autre.

- Et vous êtes triste?

- Non, le bar est ouvert.

Elle a regardé dehors, songeuse. Normalement, c'était le genre de fille que j'évitais : trop chaude, trop partante pour une histoire foireuse. Je dis normalement, parce que ce soir-là je m'emmerdais suffisamment pour faire une connerie. Je l'ai relancée.

- Écoutez, si vous voulez parler poésie nocturne, si vous voulez qu’on reste là à deviser devant l’horizon, je vais avoir besoin d’un autre verre.

- Aucune envie de parler.

- Alors quoi?

- C’est votre première soirée du genre?

- Non, j’en ai vu d’autres.

- Alors, vous savez qu’il y a toujours, quelque part, une fille perdue qui ne demande qu’à se foutre dans le pétrin avec le mauvais gars.

- ...

- Ne faites pas l’innocent. Vous savez très bien que je suis cette fille et que vous êtes ce gars.

- Et c’est quoi la suite?

- Un taxi, un vestiaire, un ascenseur, un appartement, une chambre d’hôtel, ça n’a pas vraiment d’importance. On verra en temps et lieu. Pour l’instant, je vais m’éloigner vers le bar, je vais commander un autre scotch et une autre bière. Vous allez rester là à regarder la nuit et mon cul. Peut-être serez vous encore là à mon retour. Si vous êtes encore là, on va se tutoyer.

Et elle s'est éloignée sans attendre ma réponse. Je ne sais pas quelle réponse j'aurais pu donner.

J'ai posé un oeil sur sa robe de dos, comme elle l'avait prédit, j'ai regardé la ville de haut et me suis demandé à quoi pouvait ressembler le paysage de jour.

Et j'ai décidé de l'attendre, juste pour voir.



*Version originale publiée le 21 novembre 2011sous le titre «Observatoire»

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