vendredi 10 février 2017

Vendredi à samedi (Extrait de Chutes de reins)

 
Nu sur mon lit, les bras croisés appuyés sur mes genoux, je contemple cette femme qui à peine entrée dans mon lit, s’apprête à sortir de ma vie. Je ne peux lui en vouloir. Ses espérances, son désir, je n'y pouvais rien. Je suis hôte.

Nue, debout face au lit, les bras croisés appuyés sur les seins, elle m'observe sans trop savoir pourquoi elle est là, dans cette chambre. Sans souvenirs d'y être entrée, elle se tâte. Comment en sortir et éviter les remous? Elle est de passage.

Une fois de plus, deux adultes consentants regrettent un verre de trop. Un homme et une femme assument au mieux leur liberté sexuelle, liberté qu'ils se sont accordée d'un clin d’œil complice échangé autour du bar. Un homme, une femme, deux corps libres de droits, avec tout ce que la liberté peut comporter comme contraintes.

Assis, les reins calés dans mon oreiller, je me prépare au mieux pour la finale. Une vacherie, un silence de glace pour clore les célébrations, un éclat de passion pour conclure ce moment de proximité échappée. C’est pénible, mais inévitable. Je n’ai aucune excuse. Je baisse la tête comme mon sexe a su le faire avant moi. Galant, je lui tiendrai la porte.

- Bon, j’y vais.

Possédé par l'irrésistible envie de dormir et d'oublier, je m’empresse d’être serviable et lui offre un taxi. Elle me fait une grimace.

- Non, merci, ça ira.

Comme ça, par simple affabilité, en étant prête à ouvrir la porte d'elle-même, elle me redonne envie. J'ai envie de la retenir, pour la désarmer, pour la remercier. Le paradoxe me prend sous la ceinture.

- Reste, c'est la nuit.
- J'ai remarqué, merci, mais non. Le temps de retrouver mes vêtements… Je serai mieux chez moi.

Une femme, qui n’est finalement qu’un homme comme les autres. Prête à partir à toute vitesse, à tout prix, incapable de trouver une excuse. L'urgence de la fuite est insoutenable. Elle doit être consommée là, maintenant, comme un sexe qui pourrait s'enfuir.

Je regarde l’heure.

- Il est quatre heures.

Elle hésite, j'y vois l'occasion de renverser la vapeur.

Je ne crois pas au coup de foudre, mais le tonnerre a éclaté et j'ai senti une chaleur parcourir ma nuque au hasard de la bière. J'avais une rousse glacée en main, elle était blonde, rapide et chaude. J'ai senti la pression monter, me suis réajusté le col. J’ai perlé de nervosité. L'ironie de mes jeux de mots débiles m'a même atteinte.

- Tu n’aurais pas vu mon porte-jarretelles?

*


- C'est quoi ça?!
- Un porte-jarretelles. Jamais vu?
- Oui, mais sous un pantalon?
- Dis-moi que t'aimes pas ça, sans sourciller.
- Oui, j'adore, j'en suis fou, mais… t'es toujours comme ça?
- Quand je ne prévois pas dormir dans mon lit? Oui. La plupart du temps
- …
- Oh!? On est choqué? Tu sais? Un homme, une femme, c'est pas tellement différent.
- Si tu le dis.
- Tu fais la gueule?
- Non, tellement pas. Tu veux que je te l'enlève?
- Ça dépend… ça t'excite si je le garde?
- Assez, oui.
- Alors, n'y touche pas, ou plutôt oui, touche.

*


- Il est ici.

Je tire le drap, découvre ma cheville.

- Ici, là où on l'a laissé.
- Merci. 

Elle s'arque légèrement pour le reprendre, me détacher, et sans se relever, se mets à parcourir le sol, à regarder sous le lit.

- Heu… t'aurais pas vu mes pantalons?
- Au salon, je crois.
- Ok. J'y vais.

J’ai vécu ça plus souvent que je ne l'aurais voulu. Le passage obligé où elle s'en va, comme dans un mauvais roman. Pas de tendresse, qu’un soupir. Les caresses, les baisers déchaînés, les baisers fougueux ou volés, la badinerie, rien ne va plus, tout se confond finalement à la gêne du petit matin. Remarquez, je n'ai pas vraiment le choix, je prends ce qui passe. À trente ans, la fougue a fait place à l’expérience, mais semble-t-il, apprécier le savoir-faire n’est plus à la mode. On consomme sans reconnaître la qualité lorsqu'on la croise. Elle a joui, j'ose espérer qu’elle en est satisfaite, pas que ça change quoi que ce soit. Elle est peut-être un peu amère, il n'y a eu qu'un assaut, mais ça ne se voit pas, je devine. 

Son soutien-gorge tient encore en équilibre sur l'abat-jour. Il est doux sous mes doigts, il l'était aussi sous mes dents. J'aime ces dentelles discrètes, douces, noires, sobres, classiques, sans rembourrage mensonger. Porte-jarretelles, bas de soie, string de dentelle, soutien-gorge assorti, elle a mis un paquet de fric dans l'espoir d'une nuit. Une nuit imaginée autrement à voir son empressement.

Elle revient et se plante devant moi, les mains dans ses poches. Je ne peux plus contempler ses jambes exquises et j'en suis chagriné. Je regrette qu'elle n'ait porté une jupe. Son ventre est encore libre d'étoffe, filiforme, oreiller divin où je me suis assoupi un instant. Assoupi en contemplant ses seins, ils sont magnifiques. Sans savoir quel âge elle a, j'avance qu'elle est bien conservée.

- Mes bas?
- T'as mis ton pantalon?
- J'avais froid. T'as pas vu mes bas?
- Dans l'entrée.
*


- Woo.
- Woo quoi?
- Bonjour.
- Ok, c'est quoi le problème?
- Pas de problème.
- Tu voulais qu'on attende d'être entrés, on est entrés. Tu voulais prendre un verre, une clope, j'ai poireauté, je t'ai accompagnée. Là quoi?
- C'est juste que… on pourrait prendre un dernier verre, une autre cigarette, parler un peu.
- Pauvre petit. Je vais être douce, je te promets.
- C'est pas ça, mais… je pourrais t'effeuiller un peu? M'allumer?
- M'effeuiller?
- J'aime la sonorité.
- Ok, je sais pas c'est quoi ton problème, mais je veux que tu comprennes quelque chose : je me suis habillée sexy ce soir pour une bonne raison. T'as pigé?

*

Je croyais que j'avais la forme et ça ne m'arrive plus aussi souvent. Une belle blonde me souriait depuis un moment, mais avec de la merde dans les yeux, je n'ai pas vu que c’était elle qui me draguait. Elle, pas moi. Je n'ai pas fui, je l'ai attendue d'un pied ferme, aussi con qu'un autre. J'étais ivre, elle avait les joues rosies. Elle n'était pas à son premier verre et le mien avait déjà été assimilé par mon foie. J'ai payé la tournée et la suivante.

- J'ai tout. Ta salle de bain…?

Elle s'engouffre dans la demi-pièce avant même que j'aie le temps d'imaginer sa surprise en ouvrant ma pharmacie. Pour le reste, c'est assez propre. 

Je prends un deuxième oreiller pour appuyer mes reins. Ils me font un mal de chien. C'est toujours comme ça quand j'abuse des bonnes choses : l'alcool, la bouffe, le désir. Pour l'instant, c'est encore sourd, je croise les doigts.

Le soleil va se lever sous peu. Il y a un jour entre mes rideaux et au petit matin le premier rayon de soleil vient toucher le pied de mon lit. Je l'attends. J'espère un rayon magique, une dose de puissance cosmique qui aura parcouru l'univers dans le seul but de me donner un argument de taille pour la retenir… juste au bon moment.

*

- T'es complètement folle.
- Mais non, allez donne-moi ça.
- Ma porte est juste là, attend un peu! On est presque chez moi, c'est ma porte, juste ici, là, chez moi…
- Y'a personne. HELLO!
- J'ai des voisins, merci beaucoup.
- Y'a personne, soit pas aussi coincé.
- Si quelqu'un arrive… Mais? Mais qu'est-ce que tu fais!?
- Tu vois? C'est pas si mal.
- Aaah!
- Je savais que tu aimerais ça.
- Je t'en prie, je t'en… supplie.
- Ok. J'accepte. Mais je ne cède pas le terrain conquis. Pas question que je lâche prise.
- Comme tu veux, mais tu permets que je prenne mes clés? Dans ma poche, dans mon pantalon, à mes chevilles…
- Rabat-joie.

*

Je ne sais pas son nom.
Je n'ai pas son numéro.
Je suis hôte, elle est de passage.

Je ne suis pas fait pour cette vie, pourtant ces situations m'arrivent de plus en plus souvent, faute qu'il m'arrive quoi que ce soit d'autre. J'ai déjà essayé d’être sage, durant mon mariage entre autres, cette sombre époque où je me suis efforcé d'être fidèle et sans vraiment réussir. Depuis, plus réaliste sur les relations entre hommes et femmes, je vis ce que j'ai à vivre, en offrant quelques sensibilités et égards envers les femmes qui s'accordent à moi pour une nuit, une semaine ou un mois, du moins j'essaye.

Foutu mémoire sélective. Je tente de me rappeler d'une syllabe, d’une sonorité. Trop tard, elle sort de la salle de bain une photo à la main. La photo qui est collée au dos de la porte de la pharmacie. La surprise attendue.

- Excuse-moi, mais c'est qui?
- Sur la photo? Moi.

Je rigole in petto de son air ahuri de femme soupçonnant l'adultère. Elle a joui, est-ce que ça ne me donne pas une exemption pour quelque chose? De donner des explications par exemple? Le point d'interrogation crève ses yeux, son regard hésite entre la crainte et la curiosité. C'est toujours la curiosité qui l'emporte, mais il y a toujours des gens pour marquer une pause avant de reposer la même question en y ajoutant les points sur les "i". 

Et y'aura toujours des cons comme moi pour jouer avec les mots.

- Toi et qui?
- Ma femme.
- T'es marié, je le savais, c'était trop bon.

Je me doutais qu’elle avait aimé ça, mais trop bon? Finalement, elle n'a peut-être pas d'amertume.

- Ma femme, techniquement. Le divorce se fait attendre. Un mariage comme les autres. C'était vraiment bon?

La réponse ne vient pas et importe peu. Je caresse mon annulaire fraîchement dénudé, mon alliance repose dans un tiroir depuis quelques jours. Elle se croise les bras et s'assoit sur le lit, ou plutôt s’y laisse tomber.

- Raconte.
- Y'a pas grand-chose à raconter. Un homme, une femme, un mariage qui foire. Ça pourrait être un Lelouch. Qu'est-ce que tu veux savoir?
- Je sais pas. Comment tu te sens?
- Assez bien. Je ne suis pas à terre.
- Ça va? T'es certain?

Pourquoi pas jouer le jeu? Elle voulait être une infirmière, quelque part dans une vie, une autre. Je craque, la jouant même un peu mélo. Je commence par me frotter les yeux et réponds à sa question, avant même qu'elle ne la pose.

- C'est rien. La fatigue, la cigarette, la fumée.
- Tu pleures?

Je ne pleure pas encore, mais une minute plus tard ça y est. Ce n'est pas si difficile. Pas besoin de faire le conservatoire d'art dramatique pour y arriver en claquant des doigts.

- Je m'excuse. Je voulais pas… je pouvais pas savoir…

Elle aurait pu deviner, elle aurait pu s'en donner la peine. Mon rôle n'est pas de lui faire un dessin, la caisse et la muselière c'est du déjà lu et puis je n'ai pas vraiment l'intention de l'apprivoiser. Elle est assise sur mon lit et vient de poser sa tête sur mon épaule. Je pose ma main sur sa cuisse sans y croire et pourtant voilà qu’elle m'embrasse le cou, encore, puis la joue, puis…

Puis je sens la chaleur du premier rayon de soleil qui se fraye un chemin entre les rideaux. Je le sens sur ma peau, dans sa main. Je le vois dans son sourire. C'est un rayon magique, cosmique, venu de la nuit des temps, une lueur bénie, une dose de puissance, une érection divine.


*Écrit en 2003, publié pour la première fois en 2010, premier chapitre d'un roman qui ne verra sans doute jamais le jour. Mais quelqu'un m'a posé une question simple dernièrement : pourquoi? Je n'ai plus de bonne raison... Je n'en ai sans doute jamais eu.
 

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