dimanche 10 novembre 2019

Maux en musique - 3

3


« Ils ont beau vouloir nous comprendre
Ceux qui nous viennent les mains nues
Nous ne voulons plus les entendre
On ne peut pas, on n'en peut plus
Et tous seuls dans le silence
D'une nuit qui n'en finit plus
Voilà que soudain on y pense
A ceux qui n'en sont pas revenus»

Une chambre d’hôtel ou une autre, toutes se ressemblent. Les lits faits au carré, les meubles sans poussières, les rideaux mornes, les papiers peints fleuris, les savons frappés du sigle de l’établissement, les rêves qui n’arrivent pas.

Le mini bar avait été regarni durant mon absence, à ma demande expresse. J’ai fait sauter le scellé inutile, ai tourné la clé providentielle et j’ai cherché l’ivresse en portion individuelle. Spiritueux à l’once, demi-bouteilles de vin et de porto, bières bon marché vendues à prix d’or. Je m’en foutais, la note était pour une autre.

Les fauteuils sont toujours trop moelleux, on s’y enfonce si vite que la chute est inévitable. J’ai bu à la bouteille, à la santé d’un enfant disparu. Le bras qui monte et descend, pavane pour un infant défunt. Prince d’un monde matériel, fils d’une reine en exil et d’un père absent. Il était déjà un peu mort avant d’avoir vécu.

Troisième et dernier jour loin de chez moi. J’allais, au petit matin, prendre une dernière voiture pour un dernier avion. L’aéroport allait être bondé de gens heureux, soulagés ou occupés. J’allais être seul. Maxine m’avait dit plus tôt qu’elle ne m’accompagnerait pas. Je l’ai embrassé et lui ai souhaité bon courage. Je ne croyais pas la revoir un jour, mais je lui ai tout de même dit à la prochaine.

C’est toujours dans ces moments de solitude recherchée que le héros de l’histoire entend frapper à sa porte.

On a frappé à ma porte.

Je savais qui était derrière celle-ci. Je savais pourquoi elle était dans ce corridor morne à attendre qu’une main charitable actionne le pêne de la serrure. Je savais combien il était facile de faire ce qu’elle avait en tête. Je savais que j’étais trop saoul pour résister. J’ai ouvert.

Il m’arrivait d’en avoir marre de vivre dans un film au scénario prévisible, de toujours savoir à l’avance ce qu’allaient faire les gens. Je savais qu’elle n’était pas nue sous son imperméable, mais je savais aussi que ses cheveux mouillés n’avaient rien d’irrésistible, alors pourquoi n’étais-je capable de résister ?

Je l’ai invité à s’asseoir sur le lit et je lui ai servi un verre de n’importe quoi. Elle l’a bu timidement, du bout des lèvres. J’ai bu vite et je me suis resservi. À quoi bon avoir toute ma tête ? Ce qui m’en restait allait être de trop pour la suite des événements.

Après un moment, ivre et reconnaissant de son silence, j’ai fait abstraction de sa présence. J’ai retiré mon pantalon, défais ma chemise et me suis glissé sous les draps.

J’étais couché, elle était assise à mes pieds. Une mèche de cheveux collait à sa joue. De son imper coulaient sur le drap des souvenirs de pluie. Puis elle s’est levée.

Bizarrement, j’ai eu peur qu’elle s’en aille, mais elle s’est déshabillée. Sans rythme, sans intentions, sans douceur ou érotisme, sans se tourner vers moi, elle a retiré ses vêtements un à un. Je l’ai regardé tranquillement, incapable de faire autrement.

Mes yeux brûlaient, mon estomac souffrait de mes repas incongrus, pris à des heures changeantes, et de mes cigarettes asiatiques aux goûts amers. Tous mes muscles étaient endoloris par la fatigue, par l’effort fourni, par ces marches funèbres d’un hôtel à un appartement, de celui-ci à une église, de celle-ci à un salon funéraire, de celui-là à un cimetière, pour finalement me porter jusqu’à cette chambre, de nouveau. Ma voix n’était plus qu’un souffle enroué. Malgré tout ça, je n’avais toujours pas sommeil.

Elle s’est allongée près de moi, je l’ai prise dans mes bras. Sa tête est venue se réfugier sur ma poitrine. J’ai caressé ses cheveux, distraitement, jusqu’à ce que sa respiration se calme, s’adoucisse, devienne régulière. Elle dormait. N’ayant rien d’autre à faire, ne pouvant trouver le réconfort dans une nuit emplie de rêve, j’ai profité du moment.

J’ai tiré le drap, pour voir sa peau, ses courbes. J’ai contemplé un sein écrasé contre mon ventre. J’ai regardé le sommet d’une fesse, une jambe repliée sur la mienne. J’avais déjà vu tout cela, mais il y avait si longtemps. Je me suis courbé pour lui donner un chaste baiser sur le front. Elle s’est réveillé et a levé les yeux vers mon regard pervers, ils étaient embués de larmes.

Son corps tout entier a ondulé pour se superposer au mien. Elle était désormais assise sur moi, me chevauchait d’un plaisir réconfortant. Le silence était assourdissant, seul le bruit des draps froissés contrastait avec ce vide immense. Elle montait et redescendait sur ce qui n’était qu’un réflexe de ma part. Je ne la désirais pas. Je pouvais sentir l’odeur de son sexe, de son désir d’abandon. Je pouvais voir ses seins aller et venir, une vague de plaisir naissant. Elle ne me regardait pas, elle ne me faisait pas l’amour. Elle tentait de revenir en arrière, de refaire l’improbable, de forcer le destin à reproduire ce qu’il avait fait par erreur. Elle voulait défier les dieux, leur dire qu’ils ne pouvaient pas reprendre ce qui était beau, ce qui était sien.

Je l’ai laissé faire. La fatigue me rendait imperturbable. Malgré la puissance de sa jouissance, la mienne ne venait pas. Elle s’obstinait, criait, griffait, ne s’avouait pas vaincue. Sa bouche, son cul, son sexe, ses mains, rien n’y faisait. J’éprouvais un plaisir coupable à l’utiliser, alors qu’elle croyait user de moi.

J’ai joui par dépit, par pitié. J’ai attendu d’être en elle pour qu’elle sente mon corps se contracter et jaillir en une multitude de sanglots inachevés. Elle n’attendait que cela. Elle s’est retirée, s’est mise en boule, les jambes en l’air. Je savais ce qu’elle faisait, mais je savais que c’était inutile. Je l’ai laissé rêver, moi j’en étais incapable. Je savais que ce cauchemar ne reviendrait pas une seconde fois.



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